Page 694 - Merveilles Industrie Tome 4
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688                    MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.


              bir au poisson une première préparation,    Un chauffant, expression normande qui répond au
                                                         mot échafaud, est une grande cabane sur pilotis
              qui permet de le conserver pendant quel­
                                                         établie, moitié dans l’eau, moitié à terre, construite
              ques semaines. On l’ouvre, on le vide, on   en planches et en rondins ; on a cherché à ce que
              le fend en deux ; puis on empile en tas les   l’air pût y circuler librement. Quelques toiles de
              poissons ouverts, et on les sale.          navire la recouvrent.
                                                           Une partie du plancher, celle qui est au-dessus de
                Le salage de la morue dure autant que la
                                                         l’eau notamment, esta claire-voie ; et dans cette partié
              pèche. Le matelot demeure jour et nuit sur   sont rangés des espèces d’établis où l’on décolle la
              le pont, mouillé jusqu’aux os, couvert     morue. Rien ne peut donner une idée de l’odeur in­
                                                         fecte du chauffant; c’est le charnier le plus horrible
              d’huile et de sang, entouré de toutes sortes
                                                         à voir. Une atmosphère chargée de vapeurs ammo­
              de détritus, qui répandent une odeur infecte.  niacales y règne contaminent, les débris de poisson
                Mais la pêche ainsi faite n’est pas suffi­  à moitié pourris ou en décomposition complète,
              sante. Des embarcations, montées par deux   accumulés dans l’eau, finissent par gagner l’inté­
                                                         rieur du lieu, et comme les graviers ne sont pas
              ou trois hommes, se rendent tous les jours,   gens délicats, ils ne songent guère à se débarrasser
              plus au large, pour tendre d’autres lignes.   de ces horribles immondices.
              L’équipage rayonne ainsi fort loin autour    Ils sont là, le couteau à la main, dépeçant les ca­
              du navire.                                 davres, tranchant et arrachant les intestins, déchi­
                                                         rant les vertèbres et prenant soin de ne pas se piquer
                Une partie des morues est expédiée en    eux-mêmes, c’est le plus réel danger qu’ils aient à
              Europe, sans autre préparation que la sa­  courir;.... mais ceci mis à part et l’habitude con­
              lure qu’elles ont reçue sur le pont du navire.   tractée, le gravier vit, sans le moindre dommage
                                                         pour sa santé ni même pour son bien-être au mi­
              Le reste (et c’est la plus grande partie) est
                                                         lieu d’une odeur propre à asphyxier les gens qui
              préparé et séché sur les lieux. C’est aux   n’v sont pas faits de longue main.
              îles Saint-Pierre et Miquelon, que se fait   Un cageot est une installation en planches qui
                                                         peut avoir 2 à 3 mètres de côté et la forme d’un
              surtout cette sécheric.
                                                         cône renversé ; le fond est à claire-voie et do­
                On trouve, dans le journal le Tour du    mine une large cuve enfoncée dans la terre. On
              Monde (année 1863), une description des di­  monte un cageot par un sentier tournant. C’est là
              verses opérations de la sécheric des morues   qu’on verse les foies de morue pour les faire fer­
                                                         menter. L'huile découle par la claire-voie dans la
              à Terre-Neuve. L’auteur, M. le comte de
                                                         cuve, où on la recueille ensuite afin de l'enfermer
              Gobineau, a observé cette pcclie à Vile Rouge,   dans des barils.......
              située non loin du banc de Terre-Neuve, et   Tout établissement de pêche, à l'île Rouge,
              qui n’est qu’une sorte de roc placé en face de   comme ailleurs, a surtout besoin, outre les chauf­
                                                         fants et les cageots, de ce qu’on appelle les
              la Grande-Terre.
                                                         graves, puisque c’est là qu’on sèche le poisson.
                                                         Sans les graves, il n’y aurait point d’exploitation
                « Les maisons de commerce françaises qui se li­  possible, et c’est pour ce motif que nous jouissons
              vrent à l’exploitation de la côte occidentale de Terre-   du droit d’occuper la côte pendant la saison de la
              Neuve appartiennent surtout, dit M. de Gobineau, aux   pêche.
              ports de Granville et de Saint-Brieuc; elles com­  Les graves n’étaient à l’origine que les grèves
              posent de deux éléments distincts les équipages de   mêmes dont le nom est prononcé ici à la normande.
              leurs navires. La minorité des hommes se recrute   On construit maintenant en pierres et dans tous les
              parmi les marins, les pêcheurs proprement dits :   lieux bien découverts, particulièrement exposésà l’ac­
              c’est l’aristocratie du bord. Puis on y ajoute un nom­  tion du soleil et surtout du vent des graves artificiel­
              bre plus grand de travailleurs, qui portent le nom de   les. Le soleil, dit-on, ne sèche pas, il brûle ; le vent, au
              graviers....... Arrivés sur la côte, on les débarque,  contraire, remplit merveilleusement l’office, et afin
              pendant toute la campagne, ils ne naviguent plus,   d’éviter l’un et de favoriser l’autre, on a aussi inven­
              et leurs fonctions se bornent à recevoir le poisson   té ce qui s’appelle des vignaux (fig. 358). Ce sont de
              que les pêcheurs leur apportent, à le décoller sans le   longues tables de branchages mobiles que l'on peut
              chauffer, à l’ouvrir, à mettre à part les foies pour en   incliner dans tous les sens, suivant que l’on veut
              extraire l’huile,à étendre les chairs entre des couches   soumettre directement la morue à l’influence du
              de sel, enfin à les soumettre aux différentes phases   vent ou la soustraire à celle des rayons solaires, ce
              du desséchage sur les graves.             qui, du reste, est rarement redoutable. »
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