Page 657 - Merveilles Industrie Tome 4
P. 657

LES CONSERVES ALIMENTAIRES.                                651


         parle sel marin? Les plus anciens écrivains   Bretagne actuelle) soutenaient leurs forces
        connus, Homère et Hésiode, nous appren­    en se nourrissant d’une certaine poudre com­
        nent que, de leur temps, c’est-à-dire plus de   posée de chair désséchée.
        dix siècles avant Jésus-Christ, l’art de saler   Dion Cassius, historien du temps des em­
        les viandes et le poisson était déjà mis en pra­  pereurs Commode et Pertinax, signale la
        tique. L’historien grec que l’on a nommé,   même coutume chez les tribus guerrières
        avec juste raison, le père de l’histoire, Héro­  de l’Asie Mineure.
        dote, nous donne la même assurance à l’é­    Suivant Jabro, les anciens Tartares, les
        gard des Egyptiens.                        Mongols, les Kalmoucks et même les Chi­
          Ce qui donne du poids à l’affirmation de   nois, faisaient usage de viande désséchée.
        ces anciens auteurs, c’est que les Phéniciens   Ils la tiraient d’Astrakan, où elle fut, de tout
        qui exécutaient, 500 à 600 ans avant Jésus-   temps, l’objet d’un grand commerce. Le
        Christ, des voyages lointains le long des   même auteur rapporte que, pour subsister
        côtes de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie,   pendant leurs excursions dans les savanes
        n’auraient jamais pu accomplir ces traver­  incultes de l’Amérique, les sauvages du
        sées s'ils n’avaient eu le moyen de conser­  Susquehannah faisaient usage d’une poudre
        ver, par la saumure, les viandes qui servaient   de viande de couleur verdâtre.
        à leur alimentation. On sait, du reste, que   C’est par une dessiccation rapide que les
        l’usage du sel dans l’alimentation de tous   poudres animales nutritives étaient prépa­
        les peuples, remonte à la plus haute anti­  rées chez ces différentes nations. La même
        quité.                                     coutume se retrouve encore, à notre époque,
          On ne saurait donc contester à l’art de la   chez les habitants des chaudes régions de
        conservation des viandes au moyen du sel   l’Amérique méridionale. Là, en effet, on
        ses parchemins d’ancienneté.               découpe les quartiers de viande en minces
          Les Romains ne dédaignaient pas les vian­  lanières, à l’aide de couteaux acérés; on
        des conservées par le sel. A Rome on ap­   les saupoudre de farine de maïs, et on les
        pelait salsamentarii les artisans qui apprê­  dessèche, en les suspendant à l’air, sur de
        taient, comme le font nos charcutiers, des   longues tiges de bambou placées horizonta­
        conserves de viande avec le sel marin.     lement. On désigne sous le nom de tasajo
        Pharnace II, roi de Pont, qui monta sur le   ces lanières de viande sèche, enroulées
        trône 64 ans avant Jésus-Christ, envoya à   sons forme de paquets cylindriques, et qui
        Rome le corps du roi Mithridate, son père,   sont aujourd’hui, dans l’Amérique du Sud,
        conservé dans de l’eau salée. A l’époque oii   la base de l’alimentation des Indiens et des
        les Romains dégénérés, poussant la gour­  Espagnols des classes pauvres.
        mandise jusque dans ses derniers raffine­    Si une telle nourriture offre une res­
        ments, demandaient à toutes les contrées de   source précieuse à diverses populations de
        la terre leurs mets les plus recherchés, ils   tribus sauvages de l’Amérique moderne,
        faisaient transporter le gibier des plus gran­  comme elle suffisait aux anciens Orientaux,
        des distances, en l'enduisant de miel.    on ne saurait songer à la faire accepter aux
          L’histoire nous apprend également que   populations de l’Europe.
        les viandes ont été de très-bonne heure     Cette idée s’était présentée pourtant à l’es­
        conservées par la dessiccation.           prit d’un sieur Martin, qui, en 1680, sug­
          Un historien latin, Jean Xiphilin, assure   géra au ministre Louvois le projet de nour­
        qu’au milieu des fatigues de la guerre, les   rir les troupes françaises en leur distribuant
        Gaulois habitants de l’Armorique (notre   de la poudre de viande de bœuf séchée dans
   652   653   654   655   656   657   658   659   660   661   662