Page 449 - Merveilles Industrie Tome 4
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L’ALCOOL ET LA DISTILLATION. 443
satisfaction de voir que tout le monde m’avait com refuser l'honneur d’une découverte que je pouvais
pris et que mes idées, dont je ne faisais point un m’attribuer, et des bénéfices qu’il regardait comme
secret, étaient devenues la propriété du moins intel certains.
ligent de mes écoliers. « Il me supplia de ne point mettre ce projet à exé
« Dans l’occasion j’en parlai à mes amis, et j’ai à cution. Il me fit valoir les puissantes considérations
regretter que la mort ait malheureusement enlevé prises de l’état de ses affaires et de la nécessité dans
aux sciences un savant académicien de cette ville, laquelle il était depourvoir aux besoins de sa famille ;
nommé Vincens-Plauchut, qui serait un témoin irré il me représenta que, si je rendais publique une
prochable de la vérité de ce que j’avance. Mais je découverte dont il pouvait tirer un si grand parti,
peux invoquer le témoignage de M. Meirien, phar je lui enlevais un moyen assuré de réparer les torts
macien à Saint-Gilles, dont les talents et la probité de la fortune, et que je le livrais à une perte cer
sont connus de tout le monde. taine.
« Adam, qui courait après la fortune, fut pressé de « Il n’entrait point dans mon intention de'nuire aux
savoir si réellement il pouvait tirer quelque avan intérêts d’Adam ; je promis, puisque le secret pou-
tage de l’idée que je lui avais donnée, et pour cela rait lui être utile, de ne point écrire aux auteurs des
ii imagina, contre mon avis, de construire une grande Annales de Chimie, et je le laissai le maître de for
chaudière en pierre, qu’il voulait échauffer par un mer tels établissements qu’il jugerait nécessaires
tuyau conducteur de la chaleur dans l’intérieur de pour l’exécution d’une entreprise dans laquelle je
la chaudière. Je lui représentai les vices d'un pareil devais avoir la plus grande part.
projet ; mais il voulut en essayer, et, malgré le grand « Adam chercha dans le département du Gard à
feu qu’il allumât, il ne put jamais mettre l’eau en tenter la cupidité de quelques fabricants d’eau-de-
état d’ébullition. vie, mais il les trouva sourds à ses propositions. II
« Forcé de renoncer à sa chaudière en pierre, et eut beau parler des avantages de son procédé, on ne
craignant d’épuiser en essais malheureux le peu de pouvait l’en croire, parce qu’on savait qu’il était
ressources qui lui restaient, il se serait presque livré marchand de mousseline, et qu’on ignorait qu’il fût
au désespoir, si je ne l’avais consolé en lui promet devenu chimiste. Adam n’inspirait d’ailleurs aucune
tant de lui céder une petite chaudière en cuivre que confiance dans ce département, ei une maladie sé-
j’avais dans mon laboratoire, et en l’assurant qu’il rieuse'm’empêchan t de prendre une part active à ses
réussirait immanquablement dans une nouvelle démarches, il échoua entièrement dans les tenta
tentative, s’il faisait' exécuter le plan d’un appareil tives qu’il fit.
de Woolf, tel que j'allais le lui donner. « Il prit alors la résolution de se rendre dans le
« Le sieur Adam accepte avec plaisir ce que je lui département de l’Hérault, avec des plans et des
propose ; il court chez le sieur Perret, chaudronnier, modèles dont je dirigeai l’exécution. Il part, en effet,
le charge de l’exécution de mon plan, sollicite pour pour Montpellier ; mais il n’est pas plutôt éloigné de
être bien servi ; enfin il est au moment d’être heu moi de quelques lieues, que les fumées de l’amour-
reux ; il tient en main le cuivre travaillé ; il peut propre lui troublent le cerveau. Il imagine de se
faire son expérience; il la fait en effet à sa cam donner pour l’auteur d’une découverte importante,
pagne, et vient le lendemain, hors d’haleine et plein relative à la distillation des vins et des eaux-de-vie;
de joie, me porter le produit de sa première distil il le dit d’abord dans quelques maisons et à demi-
lation. voix, et comme personne ne le contredit, il se per
« Ah ! il fallait entendre le sieur Adam me témoi suade que cela est vrai, et il publie hautement ce
gner sa reconnaissance. Il m’appelait son bienfai qu’il osait à peine dire en secret.
teur, son consolateur, son ami le plus sincère, le « Adam inventeur ! Adam auteur d’une découverte
seul dont il n’oublierait jamais le souvenir, et dont importante! Quel renversement de toutes les idées
les bienfaits seraient toujours présents à sa mé reçues ! En l’an VII il vient sur mes bancs se placer au
moire. dernier rang de mes écoliers, et en l’an IX il fait des
« Déjà, il roule dans sa tête des projets gigantes découvertes ; il se place à côté des plus célèbres
ques ; il voit s’entasser autour de lui une immensité chimistes ; il ose leur disputer le fruit de leurs veilles
d'or; il ne veut le partager qu’avec moi; moi seul et s’approprier des idées qui sont consacrées dans
suis digne d'être son associé ; à nous deux nous des ouvrages qu’on trouve dans toutes les biblio
allons engloutir les trésors des deux mondes. thèques et entre les mains de tous ceux qui cultivent
« Mais quelle fut sa surprise, lorsque je lui dis que la science.
cette découverte n’était point à moi, qu’elle était due « Glaser, Charras, Marazio, Brugnatelli, Glauber et
principalement au célèbre Rumfort, et que j’allais vous tous qui avez enseigné les moyens dont il fal
lui en faire hommage, en la faisant insérer dans les lait se servir pour obtenir par une seule chauffe de
Annales de chimie ! l’esprit-de-vin très-rectifié, vous pouvez désormais
« Ce projet déconcerta entièrement Adam. Il ne céder le pas à Adam ; il marche à votre tête, sem
concevait pas cet excès de délicatesse qui me faisait blable à un météore brillant qui ne fait que de pa