Page 448 - Merveilles Industrie Tome 4
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442 MERVEILLES DE L’INDUSTRIE.
lut céder à sa des tinéc et prendre congé du public. seul avait le droit d’y entrer à toute heure de la
« Après sa chute, Adam se retira à la campagne, journée, soit que je fusse présent ou que je fusse
où il demeura caché pendant un an ou deux. absent ; il pouvait y prendre les livres et les instru
« Il s’ennuya bientôt de son obscurité ; il se croyait ments dont il avait besoin, les emporter à sa cam
né pour faire du bruit dans le monde. 11 imagina pagne et ne les rapporter que lorsqu’ils cessaient de
que, s’il pouvait blanchir la [crème de tartre, ce lui être utiles.
blanchiment serait pour lui une source de ri « Adam fut bientôtadmis par moi au milieu de mes
chesses. amis les plus intimes; je lui fis prendre part aux
« Mais il fallait savoir ce que c’était que la crème de expériences que je faisais journellement avec eux,
tartre ; il fallait savoir ce que c’était qu’un fourneau, et je n’étais jamais si satisfait que lorsque je m'a
avoir une idée de sa construction, connaître enfin percevais qu’il avait vu et retenu quelques-unes de
par quels procédés on opérait ce blanchiment ; et le mes idées.
sieur Adam ne savait que mesurer, compter, vendre « 11 était trop souvent avec moi et j’avais trop à
et acheter. cœur son instruction, pour ne pas le conduire à un
« J’étais alors professeur de chimie à l’École cen établissement que nous avions formé avec M. Four
trale du département du Gard, et j’avais pour ami nier et autres associés pour la composition des eaux
M. Bœuf, d’Arles, qui était aussi celui du sieur minérales artificielles. Là, il lui fut aisé de voir qu'à
l’aide d'un grand appareil de Woolf, formé par des
Adam.
barriques communiquant les unes aux autres par
« Ce dernier, qui roulait dans sa tête des projets à des tuyaux plongeurs en métal, nous parvenions
l'exécution desquels j’étais nécessaire, pria M. Bœuf à extraire les différents gaz qui se séparaient du
de lui faire faire ma connaissance et de le présenter
vase distillatoire pour en saturer successivement
chez moi. l’eau.
« Ce fut dans l’hiver de l’an VII, que le sieur Adam « Je le rendis également témoin de la distillation du
me fit sa première visite. Il était accompagné de kirschwasser ou de celle du vin de cerises, que nous
M. Bœuf, qui m’intéressa autant qu’il put en faveur effectuions par le moyen de tubes plongeurs qui
de son protégé, me fit part du mauvais état de ses communiquaient d’un côté à une barrique contenant
affaires, du dessein dans lequel il était de se créer le produit de la fermentation des cerises, et d’un
une nouvelle branche d’industrie, et me supplia, au autre côté à une petite chaudière fermée et conte
nom de l’amitié qui nous unissait, d’être utile au nant de l’eau qu’on portait à l’état d’ébullition, à
malheureux qu’il me présentait.
l’aide d’un feu bien réglé.
« Je n’avais rien à refuser à M. Bœuf; il était d’ail « Je le rendis enfin témoin de mes expériences sur
leurs impossible de résister au sieur Adam, qui le décrément de la soie, du fil et du coton, qui s’opé
expliquait ses besoins, ses espérances, avec l’accent rait à peu près de la même manière, et comme je
de l’infortune et d’un ton bien différent de celui qu’il ne désirais rien tant que de trouver un moyen plus
a pris depuis. propre à remédier au dérangement de ses affaires,
« Je lui demandai quelles connaissances il désirait que celui qu’il avait imaginé en voulant blanchir la
d’abord acquérir, et sur quoi il voulait faire porter crème de tartre, je saisis cette occasion pour lui
plus spécialement l’objet de ses études. Il me répon faire sentir tout l’avantage que l’on pourrait tirer de
dit qu’il voulait apprendre à blanchir la crème de l’appareil de Woolf, exécuté en grand, en l’appliquant
tartre, et qu’il aurait pour cela besoin de mes lu à la distillation des vins et des eaux-de-vie. Je revins
mières, parce qu’il ne s’était jamais occupé de plusieurs fois sur cette idée, et à chaque foisj’entrai
chimie. dans les détails que je crus les plus propres à la lui
« Je lui donnai tous les renseignements que je crus faire saisir. Je lui fis connaître les essais de la théo
pouvoir lui être utiles; je lui appris tout ce qu’il rie de la chaleur dans les liquides, par le célèbre
était nécessaire qu’il sût; et quelques jours après, comte de Rumfort. Je lui appris comment, par le
ayant été instruit par M. Fournier, chimiste recom moyen de la vapeur, on pouvait parvenir à chauffer
mandable de cette ville, que le sieur Adam lui avait les liquides, pourvu que le tuyau qui porte la vapeur
été présenté, nous convînmes ensemble de l’aider eût son ouverture dans la partie la plus basse du
de tous nos moyens, et de déférer à la prière qu’il vase qui contient le liquide que l’on veut chauffer,
nous avait faite de nous rendre à sa campagne pour ou à peu près au niveau de son fond ; découverte
coopérer à l’exécution de l’entreprise qu’il avait en qui appartenait au comte de Rumfort, qui le premier
vue. avait reconnu que la chaleur ne peut pas descendre
« Depuis ce moment, Adam me rendit de fréquentes dans les liquides.
visites. 11 venait même chez moi plusieurs fois par « Je répétai plusieurs foisdansmesleçons,etdevant
jour, assistait à toutes mes leçons, et notre liaison un grand nombre d’élèves et d’amateurs, ce que
ne faisant qu’augmenter, mon cabinet, ma biblio j'avais souvent dit en particulier au sieur Adam ; je
thèque et mon laboratoire lui furent ouverts. Lui l’expliquai en cent manières différentes, et j’eus la