Page 448 - Merveilles Industrie Tome 4
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                 lut céder à sa des tinéc et prendre congé du public.  seul avait le droit d’y entrer à toute heure de la
                  « Après sa chute, Adam se retira à la campagne,   journée, soit que je fusse présent ou que je fusse
                 où il demeura caché pendant un an ou deux.  absent ; il pouvait y prendre les livres et les instru­
                  « Il s’ennuya bientôt de son obscurité ; il se croyait   ments dont il avait besoin, les emporter à sa cam­
                 né pour faire du bruit dans le monde. 11 imagina   pagne et ne les rapporter que lorsqu’ils cessaient de
                 que, s’il pouvait blanchir la [crème de tartre, ce   lui être utiles.
                 blanchiment serait pour lui une source de ri­  « Adam fut bientôtadmis par moi au milieu de mes
                 chesses.                                  amis les plus intimes; je lui fis prendre part aux
                  « Mais il fallait savoir ce que c’était que la crème de   expériences que je faisais journellement avec eux,
                 tartre ; il fallait savoir ce que c’était qu’un fourneau,   et je n’étais jamais si satisfait que lorsque je m'a­
                 avoir une idée de sa construction, connaître enfin   percevais qu’il avait vu et retenu quelques-unes de
                 par quels procédés on opérait ce blanchiment ; et le   mes idées.
                 sieur Adam ne savait que mesurer, compter, vendre   « 11 était trop souvent avec moi et j’avais trop à
                 et acheter.                               cœur son instruction, pour ne pas le conduire à un
                   « J’étais alors professeur de chimie à l’École cen­  établissement que nous avions formé avec M. Four­
                 trale du département du Gard, et j’avais pour ami   nier et autres associés pour la composition des eaux
                 M. Bœuf, d’Arles, qui était aussi celui du sieur   minérales artificielles. Là, il lui fut aisé de voir qu'à
                                                           l’aide d'un grand appareil de Woolf, formé par des
                 Adam.
                                                           barriques communiquant les unes aux autres par
                   « Ce dernier, qui roulait dans sa tête des projets à   des tuyaux plongeurs en métal, nous parvenions
                 l'exécution desquels j’étais nécessaire, pria M. Bœuf   à extraire les différents gaz qui se séparaient du
                 de lui faire faire ma connaissance et de le présenter
                                                           vase distillatoire pour en saturer successivement
                 chez moi.                                 l’eau.
                   « Ce fut dans l’hiver de l’an VII, que le sieur Adam   « Je le rendis également témoin de la distillation du
                 me fit sa première visite. Il était accompagné de   kirschwasser ou de celle du vin de cerises, que nous
                 M. Bœuf, qui m’intéressa autant qu’il put en faveur   effectuions par le moyen de tubes plongeurs qui
                 de son protégé, me fit part du mauvais état de ses   communiquaient d’un côté à une barrique contenant
                 affaires, du dessein dans lequel il était de se créer   le produit de la fermentation des cerises, et d’un
                 une nouvelle branche d’industrie, et me supplia, au   autre côté à une petite chaudière fermée et conte­
                 nom de l’amitié qui nous unissait, d’être utile au   nant de l’eau qu’on portait à l’état d’ébullition, à
                 malheureux qu’il me présentait.
                                                           l’aide d’un feu bien réglé.
                   « Je n’avais rien à refuser à M. Bœuf; il était d’ail­  « Je le rendis enfin témoin de mes expériences sur
                 leurs impossible de résister au sieur Adam, qui   le décrément de la soie, du fil et du coton, qui s’opé­
                 expliquait ses besoins, ses espérances, avec l’accent   rait à peu près de la même manière, et comme je
                 de l’infortune et d’un ton bien différent de celui qu’il   ne désirais rien tant que de trouver un moyen plus
                 a pris depuis.                            propre à remédier au dérangement de ses affaires,
                   « Je lui demandai quelles connaissances il désirait   que celui qu’il avait imaginé en voulant blanchir la
                 d’abord acquérir, et sur quoi il voulait faire porter   crème de tartre, je saisis cette occasion pour lui
                 plus spécialement l’objet de ses études. Il me répon­  faire sentir tout l’avantage que l’on pourrait tirer de
                 dit qu’il voulait apprendre à blanchir la crème de   l’appareil de Woolf, exécuté en grand, en l’appliquant
                 tartre, et qu’il aurait pour cela besoin de mes lu­  à la distillation des vins et des eaux-de-vie. Je revins
                 mières, parce qu’il ne s’était jamais occupé de   plusieurs fois sur cette idée, et à chaque foisj’entrai
                 chimie.                                   dans les détails que je crus les plus propres à la lui
                   « Je lui donnai tous les renseignements que je crus   faire saisir. Je lui fis connaître les essais de la théo­
                 pouvoir lui être utiles; je lui appris tout ce qu’il   rie de la chaleur dans les liquides, par le célèbre
                 était nécessaire qu’il sût; et quelques jours après,   comte de Rumfort. Je lui appris comment, par le
                 ayant été instruit par M. Fournier, chimiste recom­  moyen de la vapeur, on pouvait parvenir à chauffer
                 mandable de cette ville, que le sieur Adam lui avait   les liquides, pourvu que le tuyau qui porte la vapeur
                 été présenté, nous convînmes ensemble de l’aider   eût son ouverture dans la partie la plus basse du
                 de tous nos moyens, et de déférer à la prière qu’il   vase qui contient le liquide que l’on veut chauffer,
                 nous avait faite de nous rendre à sa campagne pour   ou à peu près au niveau de son fond ; découverte
                 coopérer à l’exécution de l’entreprise qu’il avait en   qui appartenait au comte de Rumfort, qui le premier
                 vue.                                      avait reconnu que la chaleur ne peut pas descendre
                   « Depuis ce moment, Adam me rendit de fréquentes   dans les liquides.
                 visites. 11 venait même chez moi plusieurs fois par   « Je répétai plusieurs foisdansmesleçons,etdevant
                 jour, assistait à toutes mes leçons, et notre liaison   un grand nombre d’élèves et d’amateurs, ce que
                 ne faisant qu’augmenter, mon cabinet, ma biblio­  j'avais souvent dit en particulier au sieur Adam ; je
                 thèque et mon laboratoire lui furent ouverts. Lui   l’expliquai en cent manières différentes, et j’eus la
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