Page 454 - Merveilles Industrie Tome 4
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                 partiments, selon qu'il voulait obtenir de   Quand son appareil fut bien installé, et
                 l’eau-de-vie ordinaire, de l’eau-de-vie preuve   que sa construction lui parut répondre à
                 de Hollande ou du trois-six. Il commanda   tous ses désirs, Isaac Bérard s’occupa d’en
                 son robinet à trois eaux à la fonderie La-  faire l’essai, dans une distillation opérée sur
                                                           l'échelle ordinaire. Mais il ne voulut mettre
                                                           personne dans la confidence de son entre­
                                                           prise ; il ne voulut prendre avec lui aucun
                                                           ouvrier, aucun manœuvre, pendant cette
                                                           expérience, qui était pourtant entourée de
                                                           bien des dangers. C’était pour la première
                                                           fois qu’il allait essayer de mettre le feu à
                                                           son nouveau fourneau avec une charge de
                                                           vin suffisante pour produire une grande
                                                           quantité d’alcool. Ce fut donc pendant la
                                                           nuit, et seul dans son atelier, qu’lsaac Bé­
                                                           rard alluma son fourneau, attendant avec
                                                           une terrible anxiété le résultat de l’expé­
                                                           rience, et n’étant pas bien sûr de ne pas
                                                           sauter en l’air, par l’explosion de l’appa­
                                                           reil.
                                                             Je ne crois pas qu’il y ait dans l’histoire
                                                           des inventions de notre siècle beaucoup de
                                                           situations aussi saisissantes, aussi dramati­
                                                           ques, que celle de cet inventeur, se livrant,
                                                           sans témoins et sans secours, à l’essai d’une
                    X                                      machine où le feu et l’esprit-de-vin se tou­
                            Fig. 247. — Isaac Bérard.
                                                           chent, pour ainsi dire. Pendant que la nuit
                 bric, de Montpellier, et le reste de l’appa­  couvre tout de son ombre dans le village
                 reil à une fonderie de Nîmes. 11 souda    endormi, lui seul veille, travaille et attend.
                 lui-même à la chaudière le cylindre à pla­  Il peut périr victime de son audace, mais du
                 ques métalliques formant des espaces com­  moins il n’entraînera personne dans la ca­
                 muniquants, qui constituait son invention.  tastrophe, car son petit atelier est éloigné
                   Il y avait encore dans son appareil une  de la distillerie, et si un malheur arrive, il
                 pièce très-importante : c’était le tuyau de  périra seul. 11 avait recommandé son âme à
                 retour à la chaudière, c’est-à-dire le tube qui  Dieu, car il était très-religieux, et il était
                 ramenait à la chaudière l’eau condensée  prêt à tout. Il avait, néanmoins, pris les
                 dans les cases du cylindre analyseur, eau  précautions nécessaires pour parer à un
                 qui retenait encore de l’alcool, afin de sou­  accident. Un gros tas de charbon et de cen­
                 mettre de nouveau ce phleyme, comme on  dres mouillées était à ses pieds, et lorsque
                 disait alors, à une nouvelle distillation. Ce  les premiers bouillonnements de la chau­
                 tuyau de retour pouvait, s’il était aperçu et  dière annoncèrent que l’esprit-de-vin allait
                 compris, mettre les curieux sur la voie de  passer dans le cylindre analyseur, puis dans
                ses recherches. Pour le dérober à tous les  le serpentin, il chargea une pelle de cendres
                yeux, il l’enferma dans la maçonnerie du   et de charbon mouillé, et, tenant la pelle de
                 fourneau.                                 la main droite, il prit dans la main gauche
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