Page 377 - Merveilles Industrie Tome 4
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LA BIÈRE.                                    371

          levûre en suspension, la fermentation alcoolique   fait rappelé tout à l’heure de l’inaltérabilité absolue
          s’établira, les jours suivants, dans tous les ballons, et   de ce moût au contact de l’air, quand, par une ébul­
          le moût de bière, que chacun d’eux renferme, se   lition préalable, on a détruit la vitalité des germes
          transformera en bière. Or, si l’on opère dans une   que le moût pouvait renfermer et que, par un arti­
          étuve, à la température de l’été, et que les ballons   fice quelconque, on place ensuite ce moût à l’abri
          v séjournent quelques semaines, on reconnaîtra que   des poussières que l’air charrie.
          toutes les bières ainsi préparées seront altérées et   « Des faits du même ordre nous sont offerts par
          qu’aux globules de levûre alcoolique ordinaire se   la levûre de bière, ce produit indispensable de toute
          trouveront associés, en nombre plus ou moins con­  bonne fabrication. Toutefois, en ce qui concerne la le­
          sidérable, les ferments de maladie dont j’ai parlé   vûre, les choses ne se présentent pas avec la même
          tout à l’heure. Les germes de ces ferments existaient   simplicité que pour la bière et le moût d’où on la tire.
          donc dans toutes les bières commerciales employées.   La bière et le moût de bière sont des substances mor­
          Cette interprétation des faits est confirmée par les   tes ; ce n’est que par un langage figuré qu’on les con­
          résultats suivants.                       sidère, quelquefois, comme des liquides doués d’une
            « Si l’on prépare une bière privée de tout germe   vie propre. On comprend, dès lors, que ces liquides
          de maladie, et qu’on ensemence les moûts, conser­  soient indestructibles tant qu'ils ne sont pas soumis
          vés sans altération, non plus avec des bières fabri;   à des causes extérieures de détérioration. La levûre,
          quées par les procédés actuels, mais avec cette   au contraire, est un être vivant. La matière des êtres
          bière exempte de germes vivants d’altération, on   vivants est-elle indestructible au contact de l’atmo­
          obtient, dans tous les cas, des bières parfaitement   sphère, celle-ci étant envisagée comme un ensemble
          saines et une absence complète d’êtres vivants, au­  d’éléments gazeux ou de fluides impondérables
          tres que ceux qui constituent les globules de la le­  n’ayant à aucun degré la puissance d’évolution de
          vûre alcoolique. Cette expérience achève de prouver,   tout ce qui a vie? Nos cadavres à nous-mêmes, par
          en outre, la corrélation qui existe entre l’altération   exemple, resteraient-ils intacts, n’éprouvant que des
          de la bière et la présence de certains organismes   phénomènes d’ordre physique ou chimique, tels que
          microscopiques.                           l’humectation ou la dessiccation, ou des oxydations
            « De mes études sur le vin j’avais déduit que le   lentes, s’ils n’étaient naturellement des sources de
          vin n’est pas un liquide altérable de lui-même. Cette   matières nutritives pour une multitude d’animaux
          conclusion est vraie également pour la bière. C’est   ou de végétaux inférieurs? Enfin, pour la levûre de
          en dehors de sa nature propre, de sa composition,   bière, les doutes que je soulève se compliquent en­
          qu’il faut chercher les causes de son altération. Les   core d’un autre problème. On sait que des botanis­
          seules modifications qu’elle puisse éprouver spon­  tes très-habiles, autrefois M. Turpin, de nos jours,
          tanément sont des modifications d’ordre chimique,   en Allemagne, M. Hoffmann, pour ne citer qu’un
          telles que l’évent, si on l’expose au contact de l’oxy­  seul nom, et présentement encore en France,
          gène, ou des effets de vieillissement, par suite de   JL Trécul, ont cru devoir conclure de leurs obser
          réactions entre ses éléments constituants, principa­  vations que la levûre de bière peut faire naître des
          lement sous une influence oxydante lente et ména­  moisissures diverses, entre autres le Penicillutnglau-
          gée. Ces derniers changements dans la nature du   cum.
          liquide ne correspondent pas à des états maladifs   « .......Que la levûre de bière soit éminemment al­
          proprement dits : souvent même ils contribuent à   térable, tous ceux qui ont manié cette substance ont
          son amélioration. Pour que la bière s’altère, pour   eu l’occasion de le constater. Pendant les chaleurs de
          qu’elle devienne aigre, putride, filante, tournée, lac­  l’été, et même à des températures plus basses, elle
          tique..., il est nécessaire que, dans son intérieur, se   change de consistance dans l’intervalle de quelques
          développent des organismes étrangers, et ces orga­  jours, répand une odeur putride, perd son activité
          nismes n’apparaissent et ne se multiplient qu’au-   comme ferment. On sait aussi que ces altérations
          tant que leurs germes existent à l’origine dans la   s’accompagnent du développement d’organismes mi­
          masse liquide. Ces faits sont vrais pour les tempéra­  croscopiques, bactéries, vibrions, ferment lactique,
          tures les plus hautes de l’atmosphère auxquelles la   moisissures diverses. D’où viennent ces productions
          bière peut être exposée, à tel point qu’une bière   organisées? La levûre les engendre-t-elle d’elle-
          pourrait faire le tour du monde et séjourner dans   même par une modification de ses cellules dans des
          les pays les plus chauds, si elle ne portait avec elle les   conditions de vie nouvelle; ou bien ces organismes
          organismes de maladie qui nous occupent. Elle ne   trouvent-ils leur origine dans les poussières des
          pourrait éprouver que la seule fermentation alcoo­  objets avec lesquels la levûre a été en contact?
           lique.                                      « Je suis parvenu à préparer de la levûre privée
            « La nature du moût de bière donne lieu à des   de tout germe étranger à sa nature propre, et j’ai
           conclusions toutes semblables. Rien ne sauraitrnieux   pu, dès lors, me rendre compte des changements
           démontrer que les altérations du moût sont réelle­  qu’elle éprouve au contact de l’air pur. Chose assu­
           ment dues à des organismes microscopiques que le   rément remarquable, dans ces conditions, la levûre
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