Page 312 - Merveilles Industrie Tome 4
P. 312

306                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE

                qu’une boisson fermentée quelconque autre  leurs, la domination des Maures en Espa­
                que le vin, et s’appliquait à la bière aussi  gne ne date que de l’an 712, c’est-à-dire de
                bien qu’au produit de la fermentation du  la grande bataille de Xérès ; or, dès le
               jus de pommes. Au ive siècle de l’ère chré­  vi8 siècle, le cidre et le poiré étaient assez
                tienne, saint Jérôme et d’autres Pères de  connus et assez estimés en France, pour
                l’Église, latinisèrent ce nom, et en firent le  que la reine sainte Radegonde en fît cha­
                mot sicera, qui désignait également toute  que jour ses délices.
                boisson fermentée autre que le vin.         Tout ce que l’on peut admettre, pour ne
                  Le vin de pomme, ou de poire, était en   pas réduire tout à fait à néant une tradition
                usage chez les Grecs et les Romains, chez les  qui a été si souvent invoquée et reproduite,
                Celtes, les Gaulois et les habitants de Libéria  c’est que les habitants de la Navarre et de
                (Espagne). Pline et Diodore de Sicile nous  la Biscaye durent expédier aux habitants
                apprennent que les Romains estimaient par­  de la Normandie, par des navigateurs diep­
                ticulièrement les pommes de la Gaule. Les  pois, de nouvelles espèces de pommiers et
                anciens Gaulois désignaient les pommes  de poiriers qui étaient plus propres à la
                sous le nom d’«u«Z, que l’on retrouve encore  fabrication du cidre que les espèces ancien­
                dans le langage bas-breton, et qui, selon   nement connues. Quant à l’art de fabriquer
                l’historien Bullet, venait d’Algia, ou pays  le cidre, on ne pourrait songer un instant à
                d’Auge, contrée qui fut, de tout temps, fer­  en attribuer la découverte aux Maures de
                tile en beaux pommiers.                   l’Espagne, puisque les peuples de l’antiquité
                  Dans les premiers siècles après Jésus -  connaissaient cette boisson et en transmi­
                Christ, on donna à la pomme le nom de  rent l’usage à leurs descendants.
                pomun, qui jusque-là avait désigné toute    Ce ne fut pourtant que du xine au xive siè­
                espèce de fruit rond ; le cidre de pommes  cle que le cidre se répandit généralement
                se nomma alors pomaceum, ou pomatium, et  en Normandie. Il remplaça la bière, boisson
                par la même raison, le poiré s’appelapirati-  chère aux peuples du nord de la France.
                cum etpiratium. Plus tard seulement, c’est-  De la Normandie, le cidre passa dans quel­
                à-dire, comme nous l’avons dit, au ive siècle,   ques autres parties de la France. 11 fut en­
                le nom de sicera désigna spécialement le  suite transporté en Angleterre, en Alle­
                vin de fruit produit par la fermentation   magne, en Russie, enfin en Amérique.
                du jus de pommes. Du mot sicera, les Es­    La Normandie et l’île anglaise de Jersey
                pagnols firent sizra et les Basques sidra. De  ont été de bonne heure en possession de
                là vint le mot français sidre, qui fut ortho­  fabriquer les cidres les plus renommés, et
                graphié ainsi jusqu’au xvif siècle. A cette  ce privilège continue de leur appartenir.
                époque seulement on écrivit cidre.          La fabrication du cidre est infiniment plus
                  Quelques auteurs ont dit que le cidre fut  simple et plus facile que celle du vin. Toute
                inventé par les Arabes pendant qu’ils occu­  l’opération se réduit à exprimer le jus des
                paient l’Espagne, et que l’art de fabriquer le  pommes ou des poires et à le faire fermen­
                cidre fut importé en Normandie par des na­  ter. Aussi la qualité de cette boisson ne dé­
                vigateurs dieppois qui faisaient le commerce  pend-elle que de la nature des fruits em­
                avec les Maures d’Espagne. Mais rien ne  ployés à la fabriquer.
                justifie cette assertion. Le Koran interdit   Nous nous occuperons particulièrement
                aux Musulmans l’usage de toute boisson fer­  ici du cidre de pommes, et ne dirons que
                mentée ; leur religion les aurait donc dé­  quelques mots du poiré, à la fin de cette
                tournés de la fabrication du cidre. D’ail­  Notice.
   307   308   309   310   311   312   313   314   315   316   317