Page 305 - Merveilles Industrie Tome 4
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colorantes, pour leur donner la couleur qui ment des matières colorantes spéciales (colorine,
leur manque. Ce genre de fraude, assez caramel, etc.), qui ne sont le plus souvent que
des résidus de fuchsine arsenicale ! »
rare autrefois, a pris depuis quelques an
nées, dans le midi de la France, de regret
tables développements. Les matières végétales ajoutées artificiel
lement au vin, pour rehausser sa couleur,
sont les baies de sureau, de troène, les fleurs
« Depuis quelques années, dit M. Armand Gau
tier, dans l’article que nous avons déjà cité de la de mauve noire (Althæa rosea, variété noire),
Revue scientifique du 6 mai 1876, l’addition au vin de myrtille, de Phytolacca decanàra (baies
de matières colorantes étrangères, qui n’avait été de Portugal, raisin d’Amérique), les bois de
exécutée jusqu’ici que par un petit nombre d'in Brésil et de Campêclie, le jus de betterave,
dustriels ou d’entrepositaires véreux, se répand dans
les pays de production, se perfectionne et se géné la rose trémière, la cochenille ammonia
ralise à un tel degré, que c’est annuellement par cale, l’indigo, enfin, comme on vient de le
milliers de kilogrammes qu'il faut compter les voir, la fuchsine, c’est-à-dire la matière
masses de fuchsine, de cochenille, de phytolacca,
de mauve noire, etc., qui se vendent pour colorer colorante rouge extraite de l’aniline, qui
les vins dans une seule ville comme Béziers ou Nar provient elle-même du goudron de houille.
bonne. Cette fraude productive, car elle s’exerce La fuchsine, la cochenille, les baies de
sur des millions d’hectolitres, est très-regrettable et
non sans danger pour la santé publique. En forçant sureau, l’infusion de mauve noire et l’indigo,
artificiellement la couleur du vin, on songe moins à telles sont, dans l’ordre de fréquence, les
lui communiquer une teinte plus vive qu’à trouver matières les plus employées.
un biais qui permette, en augmentant notablement
la puissance colorante, de l’étendre d’eau propor Ces substances communiquent au vin
tionnellement, sauf à relever, s’il le faut, légèrement une couleur vive, sans doute, mais passa
son titre par de l’acool à bon marché. La puissance
gère, qui disparait au bout de quelques
nutritive du vin, son bouquet, sa tonicité, due sur
tout à son tannin et à ses substances colorantes na mois, causant un grave préjudice à l’acqué
turelles, diminuent ainsi notablement. Bien plus, la reur qui a été trompé, la couleur fraudu
fraude introduit dans les vins non pas seulement leusement communiquée au liquide l’ayant
des matières inoffensives, telles que certaines tein induit en erreur sur les autres qualités du
tures végétales, mais fort souvent aussi des substan
ces nuisibles, comme la décoction de sureau alunée, vin.
la fuchsine arsenicale, les sucs purgatils ou drasti Il est assez difficile de reconnaître par
ques d’hièble ou de phytolacca. On ne saurait donc les moyens chimiques la présence de ces
trop s’inquiéter de mettre un terme à ces pratiques
désastreuses pour la santé publique, et qui, en ren substances dans le vin. Cependant on a fait,
dant nos vins suspects, diminueraient rapidement dans ces derniers temps, sur cette question
leur consommation intérieure et leur exportation. des recherches spéciales que nous allons ré
« Paris, Rouen et Béziers sont aujourd’hui les sumer.
grands centres de fabrication ou de vente de ces ma
tières colorantes. Elles se consomment surtout dans M. Caries, pharmacien à Bordeaux, a
les départements de la région méditerranéenne, où étudié les caractères particuliers que pré
se lait le plâtrage, et qui donnent à eux seuls plus sente chacune des matières tinctoriales ap
du tiers des vins consommés en France sous les
noms les plus divers. C’est surtout dans l'Hérault, pliquées aujourd’hui à la coloration artifi
l'Aude et le Roussillon que ces pratiques se sont cielle des vins. Voici les résultats qu’il a
répandues depuis quelques années. Des renseigne obtenus.
ments que j’ai pris, il résulte que dans le seul petit
village d’Ouveilhan, près Narbonne, il s’est vendu, Les baies du Phytolacca decandra (baies
en 1874, pour 30,000 fr. de cochenille ammoniacale, de Portugal], employées en nature ou en
livrée par un seul épicier de Narbonne ! Dans cette sirop épais, communiquent au vin leur
dernière ville, c’est par 20,000 fr. et plus que plu belle couleur violacée. Pour reconnaître la
sieurs commissionnaires bien connus soldent cha
que année les bénéfices faits par eux sur le place présence de cette matière, il suffit de savoir