Page 305 - Merveilles Industrie Tome 4
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LE VIN.                                    299


          colorantes, pour leur donner la couleur qui   ment des matières colorantes spéciales (colorine,
          leur manque. Ce genre de fraude, assez    caramel, etc.), qui ne sont le plus souvent que
                                                    des résidus de fuchsine arsenicale ! »
          rare autrefois, a pris depuis quelques an­
          nées, dans le midi de la France, de regret­
          tables développements.                      Les matières végétales ajoutées artificiel­
                                                    lement au vin, pour rehausser sa couleur,
                                                    sont les baies de sureau, de troène, les fleurs
            « Depuis quelques années, dit M. Armand Gau­
          tier, dans l’article que nous avons déjà cité de la   de mauve noire (Althæa rosea, variété noire),
          Revue scientifique du 6 mai 1876, l’addition au vin   de myrtille, de Phytolacca decanàra (baies
          de matières colorantes étrangères, qui n’avait été   de Portugal, raisin d’Amérique), les bois de
          exécutée jusqu’ici que par un petit nombre d'in­  Brésil et de Campêclie, le jus de betterave,
          dustriels ou d’entrepositaires véreux, se répand dans
          les pays de production, se perfectionne et se géné­  la rose trémière, la cochenille ammonia­
          ralise à un tel degré, que c’est annuellement par   cale, l’indigo, enfin, comme on vient de le
          milliers de kilogrammes qu'il faut compter les   voir, la fuchsine, c’est-à-dire la matière
          masses de fuchsine, de cochenille, de phytolacca,
          de mauve noire, etc., qui se vendent pour colorer   colorante rouge extraite de l’aniline, qui
          les vins dans une seule ville comme Béziers ou Nar­  provient elle-même du goudron de houille.
          bonne. Cette fraude productive, car elle s’exerce   La fuchsine, la cochenille, les baies de
          sur des millions d’hectolitres, est très-regrettable et
          non sans danger pour la santé publique. En forçant   sureau, l’infusion de mauve noire et l’indigo,
          artificiellement la couleur du vin, on songe moins à   telles sont, dans l’ordre de fréquence, les
          lui communiquer une teinte plus vive qu’à trouver   matières les plus employées.
          un biais qui permette, en augmentant notablement
          la puissance colorante, de l’étendre d’eau propor­  Ces substances communiquent au vin
          tionnellement, sauf à relever, s’il le faut, légèrement   une couleur vive, sans doute, mais passa­
          son titre par de l’acool à bon marché. La puissance
                                                    gère, qui disparait au bout de quelques
          nutritive du vin, son bouquet, sa tonicité, due sur­
          tout à son tannin et à ses substances colorantes na­  mois, causant un grave préjudice à l’acqué­
          turelles, diminuent ainsi notablement. Bien plus, la   reur qui a été trompé, la couleur fraudu­
          fraude introduit dans les vins non pas seulement   leusement communiquée au liquide l’ayant
          des matières inoffensives, telles que certaines tein­  induit en erreur sur les autres qualités du
          tures végétales, mais fort souvent aussi des substan­
          ces nuisibles, comme la décoction de sureau alunée,   vin.
          la fuchsine arsenicale, les sucs purgatils ou drasti­  Il est assez difficile de reconnaître par
          ques d’hièble ou de phytolacca. On ne saurait donc   les moyens chimiques la présence de ces
          trop s’inquiéter de mettre un terme à ces pratiques
          désastreuses pour la santé publique, et qui, en ren­  substances dans le vin. Cependant on a fait,
          dant nos vins suspects, diminueraient rapidement   dans ces derniers temps, sur cette question
          leur consommation intérieure et leur exportation.  des recherches spéciales que nous allons ré­
            « Paris, Rouen et Béziers sont aujourd’hui les   sumer.
          grands centres de fabrication ou de vente de ces ma­
          tières colorantes. Elles se consomment surtout dans   M. Caries, pharmacien à Bordeaux, a
          les départements de la région méditerranéenne, où   étudié les caractères particuliers que pré­
          se lait le plâtrage, et qui donnent à eux seuls plus   sente chacune des matières tinctoriales ap­
          du tiers des vins consommés en France sous les
          noms les plus divers. C’est surtout dans l'Hérault,   pliquées aujourd’hui à la coloration artifi­
          l'Aude et le Roussillon que ces pratiques se sont   cielle des vins. Voici les résultats qu’il a
          répandues depuis quelques années. Des renseigne­  obtenus.
          ments que j’ai pris, il résulte que dans le seul petit
          village d’Ouveilhan, près Narbonne, il s’est vendu,   Les baies du Phytolacca decandra (baies
          en 1874, pour 30,000 fr. de cochenille ammoniacale,   de Portugal], employées en nature ou en
          livrée par un seul épicier de Narbonne ! Dans cette   sirop épais, communiquent au vin leur
          dernière ville, c’est par 20,000 fr. et plus que plu­  belle couleur violacée. Pour reconnaître la
          sieurs commissionnaires bien connus soldent cha­
          que année les bénéfices faits par eux sur le place­  présence de cette matière, il suffit de savoir
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