Page 17 - Merveilles Industrie Tome 4
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LE PAIN ET LES FARINES.                                Il


         gneront ne parent, ne ami, ne condemneront nul-   Les boulangers, d’après la suite des statuts
         lui, por haine, ne por malvoillance à tort. »  que nous venons de reproduire, devaient
            Delamare nous explique, dans son Traité   observer une longue série de chômages,
         de la police, écrit dans les premières années   comprenant plus de soixante jours, sans
         du xvme siècle (1), comment s acquiert le   compter les dimanches et même la veille
                                                   des fêtes chômées.
         droit d’exercer le métier de boulanger.
           « On distingue dans Paris deux sortes de ter­  « Nul talemelier ne puet cuire ès veilles des festes
         ritoires, l’un qui appartenoit au roi et l’autre à   dessus dites, que li pains ne soit au plus tart à
         des seigneurs particuliers. De celui ci, il y en avoit   chandoiles allumées dedans le four, ne ès samedis,
         une partie que Philippe-Auguste avoit fait renfer­  fors qu’en la veille de Noël, qu’il puet cuire jus-
         mer dans la ville, et une partie qui étoit demeurée   ques aux matines Nostre Dame de Paris, à peine
         hors des murs de cette nouvelle enceinte. Selon   de six deniers d’amende. » — « Et se li pains
         cette décision, les boulangers y sont distribués en   falloit à Paris, si convenroit-il qu’il presist congié
         deux classes : les uns demeuroient sur les terres   de cuire au mestre des talemeliers. »
         et dans la justice du roy, les autres sur les terres
         des seigneurs qui avoienl droit de haute justice.   Ce ne fut qu’au siècle dernier que l’on
         Ceux-là ne pouvoient exercer s’ils n’achetoient du   inventa, ou plutôt que l’on retrouva l'usage
         roy la maistrise, et ils étoient tenus de lui payer le
         droit de haute justice. Ceux-là ne pouvoient exer­  de la levùre de bière pour faire lever la
         cer s’ils n’achetoient du roy la maistrise, et ils   pâte. Nous disons que l’on retrouva ce pro­
         étoient tenus de lui payer le droit annuel de hau­  cédé, car, selon Pline, les anciens Gaulois
         ban ; ceux-cy étoient exempts de l’une et de l’autre
         de ces obligations, soit que la terre du seigneur   le connaissaient déjà.
         sur laquelle ils demeuroient fût ou ne fût pas ren­  Au xviii' siècle on prépara, avec la levùre
         fermée dans la nouvelle enceinte ; mais ils estaient   de bière, diverses espèces de pains mollets,
         chargés de certaines redevances comme les fo­  connus sous les noms de pain blême, pain
         rains. »                  ,
                                                   cornu, pain de Gentilly, pain de condition,
           La réception des nouveaux boulangers    pain de Ségovie, pain d'esprit, pain à café,
         avait lieu chez le ehef de la communauté,
                                                   à la mode, à la duchesse, etc.
         en présence du receveur des droits, des     Cependant le levain de pâte avait suffi,
         boulangers de la ville et des geindres.
                                                   pendant toute la durée du moyen âge, pour
           Après quatre ans de stage, il prenait un
                                                   préparer une multitude de pains, dont la
         pot de terre neuf, rempli de noix et de   nature variait selon la qualité des personnes
         nieules (2), il se rendait à la réunion
                                                   auxquelles ils étaient destinés. Legrand
         dont nous venons de parler, et alors se
                                                   d’Aussy nous donne sur ce sujet des rensei­
         passait la scène ainsi décrite :
                                                   gnements détaillés :
           « Et doit le nouveau boulanger livrer son pot et
         ses noix au maître et dire : Maître, j’ai accompli   « D’anciennes chartes du xn’ et du xme siècle
         mes quatre années. Et le maître doit demander au   citées dans le Glossaire de du Cange, au mot Panis,
         coutumier si c’est vrai, et si cela est vrai, le maître   dit-il, parlent de pains primes, de pain de pape, pain
         doit bailler au nouveau boulanger son pot et ses   de cour, pain de la bouche, pain de chevalier, pain d'é ■
         noix, et lui commander de les jeter au mur. Pen­  cuyer, pain de chanoine, pain de salle pour les hôtes,
         dant qu’il les jette, le maître et son assistant se   pains de Pairs, pain moyen, pain vasalor ou de ser­
         tiennent dehors ; ils rentrent ensuite dans la mai­  vants, pain de valet, pain truset, pain tribolet, pain
         son du chef de la communauté, où celui-ci leur   ferez, pain maillau, pain de mait, pain chœsne, pain
         doit livrer feu et vin : et chascun des talemeliers,   chonhol, pain denain, pain salignon, pain séménian. »
         et le nouveau et les maîtres valets, doivent chacun   (Ce dernier se criait et se vendait dans les rues par
         un denier au maître des talemeliers pour le vin et   les oublieux.)
         pour le feu qu’il livre. »                  « Il y avait des pains matinaux qui se servaient à
                                                   déjeuner ; des pains du Saint-Esprit, nommés ainsi
           (1)  Livre V, titre xn.                 parce qu’on les donnait en aumône aux pauvres
           (2)  Mot dont la signification est aujourd’hui perdue.  dans la semaine de la Pentecôte ; des pains d’é-
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