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L’ASPHALTE ET LE BITUME.


        dans le comté de Neufchalel, près du Val-Travers,   fautes par la négligence des ouvriers, elles se ré­
        est pour l’Europe un trésor qui nous avait été in­  parent si aisément sans être obligé de remuer les
        connu depuis le commencement du monde. Du   pierres, que l’on peut dire qu’il est facile présente­
        moins il ne paraît pas que jamais on y ait travaillé,   ment de faire des ouvrages parfaits.
        et que les terres qui la couvrent aient été remuées.   « Pour former le ciment et le mettre en état d’être
        Cet asphalte européen ne diffère de celui d’Asie   employé, il faut prendre la mine toute pure, et la
        dans aucune de ses parties. Il a l’odeur d’ambre, la   bien pulvériser. Pour le faire avec moins de peine
        couleur brune. C’est une pierre minérale, grasse   et de frais (car elle est fort dure), on peut l’atten­
        et chaude, visqueuse et plus gluante que la poix :   drir en la mettant devant le feu, ou à sec dans une
        ses pores sont extrêmement serrés, quoique remplis   chaudière. Dès qu’elle sentira la chaleur, on la
        d’huile, et il approche fort du marbre par la pesan­  broyera très-facilement : il vaut cependant mieux
        teur : effectivement, il devient aussi dur, quand il   la piler froide, parce qu’en la chauffant l’huile s’éva­
        est fondu comme il faut; il résiste tellement au   pore, et elle perd beaucoup de sa qualité et de sa
        froid et à l’eau, qu’il n’en peut être pénétré : c’est   force.
        ce qui a été éprouvé depuis plus de cinq années   « Quand elle est absolument écrasée et réduite
        dans plusieurs endroits de la Bourgogne et de la   comme du terreau, on prend de la poix de Bour­
        Suisse.                                   gogne blanche ou noire (la blanche est la meilleure) :
          « J’ai vu dans Soleure et dans Neufchatel des bas­  on la fait fondre à petit feu dans une chaudière de
        sins de fontaines de douze à quinze pieds de dia­  cuivre, ou de fer: quand la poix est entièrement
        mètre asphaltisés depuis ce temps. Les pierres sont   fondue, il faut prendre garde que le feu n’y prenne :
        unies comme le premier jour, et elles sont si par­  on y mêle peu à peu l’asphalte en le remuant con­
        faitement jointes qu’elles semblent une pierre en­  tinuellement avec un bâton ou spatule, jusqu’à ce
        tière : l’eau s’y conserve comme dans un vase   que l incorporation soit faite : on le voit parce que
        quoiqu’elles soient exposées au chaud, au froid et à   l’asphalte doit être liquide comme de la bouillie : la
        toutes les intempéries de l’air: il est aisé d’en con­  dose de la poix est la dixième partie ; c’est-à-dire
        clure que c’est un ciment naturel et le meilleur   qu’il faut neuf livres de mine et une livre de poix
        qu’il y ait dans le monde. Il sert non-seulement à   pour former le ciment dans sa perfection. Si l’on
        joindre les pierres, il garantit encore les bois de la   vouloit asphalter une terrasse que l’on feroit à neuf,
        pourriture, des vers, et des dommages de la vieil­  il faudroit faire tailler les pierres de manière qu’elles
        lesse.                                    laissassent en haut une ouverture dejoint d’un pouce
          .< Monsieur Opuor, surintendant des bâtiments de   ou un pouce et demi de profondeur sur un tiers de
        Son Altesse royale Monseigneur le duc d’Orléans,   pouce de large pour y pouvoir couler facilement
        en a fait faire les premières expériences dans Paris.   l’asphalte. Si l’on vouloit asphalter en posant les
        Le bassin qu’il a fait asphalter à l’hôtel Colbert, aux   pierres, il faudroit qu’elles fussent taillées à joints
        écuries de S. A. R., peut être vu de t< ut le monde :   recouverts avec une rainure en dessous d’environ
        il n’y est entré que cent huit livres de ciment : et   un demi-pouce quarré. Celte façon d’unir les pierres
        la matière n’y a point été épargnée. Si on l’avoit   est sans doute la plus propre ; mais comme les frais
        doublé de plomb, il eût été difficile de le faire pour   en seroient grands, je ne l’indique qu’aux mar­
        mille francs.                             briers, qui par ce moyen pourroient tailler leur
                                                  marbre à vive arête et cacher absolument le joint.
                                                    « L’on pourroit encore faire des bassins, réservoirs,
          MANIÈRE DE FAIRE LE CIMENT ET DE L’EMPLOYER SUR
                                                  citernes, et terrasses même, sans employer des
                        LA PIERRE.
                                                  pierres de taille; et cette façon qui coûteroit moins
          « Il y a plusieurs sortes de ciments artificiels dont   que les autres, seroit aussi solide et auroit sa beauté :
        on se sert pour joindre les pierres ; mais outre   il faudroit commencer par faire une bonne aire à
        qu’ils sont fort chers, ils ne sont pas de durée : un   chaux et à sable, à laquelle on donneroit une pente
        grand nombre de personnes en ont fait les épreuves   insensible pour jeter l’eau du côté où seroit la fuite.
        à leur dommage ; elles ont été obligées de recommen­  Quand ce premier plancher seroit sec et en état de
        cer au bout de deux ou trois années, et quelquefois   recevoir le ciment, on le carrelleroit avec des car­
        moins, et de faire une nouvelle dépense, sans espé­  reaux à son choix, que l’on joindroit ensemble,
        rance de mieux réussir. De tous les ciments dont on   même en compartiment, la brique seroit un corps
        s’est servi jusqu’à présent, on n’en peut comparer   plus solide et plus fort : si c’étoit un bassin rond, les
        aucun à l’asphalte; premièrement parla facilité de   pierres de taille conviendroient mieux pour l’en­
        le faire ; de plus par le bon marché, et par sa du­  ceinte, mais pour un quarré d’eau ou un canal, les
        rée. Ceux qui l’employeront comme il faut, et qui   briquesferoientle même effet, llestinutiledanscetle
        suivront exactement ce Mémoire, peuvent compter   occasion de faire un fond de glaise sous le bassin :
        que leurs ouvrages seront solides, et qu’il n’y aura   car si les joints sont fermés exactement, il n’en
        jamais à refaire. Quand môme il y auroit quelques   pourra jamais sortir une goutte d’eau. Quand le
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