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GiG                    MERVEILLES DE L’INDUSTRIE

                mée; il a aUO stades de long et environ 60 de large.   La découverte de l’existence de l’asphalte
                Son eau est amère et puante, de sorte qu’on n’y   en Europe remonte à l’année 1710. Elle est
                trouve ni poisson ni aucun animal aquatique, et
                qu’elle corrompt absolument la douceur des eaux   due à un médecin du pays, mais Grec d’o­
                d’un grand nombre de fleuves qui vont s’y rendre.   rigine, le docteur Eirini d’Eyrinys, ainsi
                Il s’élève tous les ans sur sa surface une quantité   que nous l’apprend une brochure publiée à
                d'asphalte sec de la largeur de trois arpents, pour
                                                          Paris en 1721, sous ce titre : Dissertation
                l’ordinaire, quelquefois pourtant d’un seul, mais
                jamais moins. Les sauvages habitants de ce canton   sur l'asphalte, ou ciment naturel, découvert
                nomment taureau la grande quantité et veau la   depuis quelques années au Val-Travers dans
                petite. Cette matière, qui change souvent de place,
                donne de loin l’idée d'une île flottante. Son appari­  le comté de Neufchatel, par le sieur Erini
                tion s’annonce près de vingt jours d’avance par une   d’Eyrinys, professeur grec et docteur en mé­
                odeur forte et puante de bitume qui fait perdre au   decine, avec la manière de l'employer tant
                loin à l’or, à l’argent et au cuivre, leur couleur   sur la pierre que sur le bois, et les utilités de
                propre, à près d’une demi-lieue à la ronde. Mais
                                                          rhuile que l'on en tire.
                toute cette odeur se dissipe dès que le bitume, ma­
                tière liquide, est sorti de cette masse. Le voisinage   Après avoir célébré sa découverte, dé­
                du lac, exposé d’ailleurs aux grandes ardeurs du   crit la manière de préparer le ciment, et
                soleil el chargé de vapeurs bitumineuses, est une
                                                          exposé toutes les précautions que néces­
                habitation très-malsaine et où l'on voit peu de vieil­
                lards, mais le' terrain en est excellent pour les   site son emploi, Eirini d’Eyrinys énu­
                palmiers, dans les endroits où il est traversé par   mère une série d’applications que l’on peut
                des fleuves....................................................................
                  « Quant à l’asphalte, les habitants l’enlèvent à l’en-   faire de l’asphalte. L’imperméabilité de cette
                vi les uns des autres, comme feraient des ennemis   substance lui fait penser tout d’abord à l’ap­
                réciproques, et sans se servir de bateaux. Ils ont de   pliquer au revêtement des citernes et de
                grandes nattes faites de roseaux entrelacés qu’ils
                                                          tous les grands réservoirs d’eau.
                jettent dans le lac; et, pour cette opération, ils ne
                sont jamais plus de trois sur ces nattes, deux seule­  L’auteur propose ensuite d’appliquer le
                ment naviguant avec des rames pour atteindre la   ciment d'asphalte sur les murailles des caves
                masse d’asphalte, tandis que le -troisième, armé
                                                          dans lesquelles il recommande de conser­
                d’un arc, n’est chargé que d’écarter à coups de
                traits ceux qui voudraient disputera ses camarades   ver le blé, à l’instar des anciens. 11 en con­
                la part qu’ils peuvent avoir; quand ils sont arrivés   seille l’emploi sur le bois (poutres, solives,
                à l’asphalte, ils se servent de fortes haches avec   palissades, etc.), sur les terrasses des mai­
                lesquelles ils enlèvent comme d’une terre molle la
                part qui leur convient ; après quoi ils reviennent   sons, sur les vaisseaux, etc. 11 décrit la ma­
                sur le rivage........                     nière d’appliquer l’asphalte au revêtement
                  « Ces barbares, qui n’ont guère d’autre commerce,   intérieur des silos destinés à conserver le
                apportent leur asphalte en Egypte, et le vendent à
                                                          blé. 11 prévoit, en un mot, la plupart des
                ceux qui font profession d’embaumer les corps; car,
                sans le mélange de cette matière avec d’autres aro­  usages auxquels on consacre aujourd’hui
                mates, il serait difficile de les préserver longtemps   l’asphalte. C’est ce que l’on reconnaîtra en
                delà corruption à laquelle ils tendent. »
                                                          lisant quelques passages de son mémoire, que
                                                          nous reproduisons pour permettre au lec­
                  Les Romains ont connu l’usage de l’as­  teur d’en apprécier l’originalité (1).
                phalte. Ils s’en servaient fréquemment
                dans leurs constructions, publiques ou pri­  « La mine d’asphalte qui a été découverte depuis
                                                          dix années, par M. Eirini d’Eyrinys, professeur grec,
                vées, surtout pour bâtir leurs thermes. On
                a mis au jour des voies publiques dallées   (1) M - Léon Malo, dans l’excellent ouvrage qui nous sert
                                                          de guide dans cette Notice : Fabrication et application de
                en asphalte, dans les fouilles pratiquées à
                                                          l'asphalte et des bitumes (1 volume in-12, chez Eugène La­
                Pompéi.                                   croix), a reproduit, comme curiosité historique, le mémoire
                                                          d’Eirini d’Eyrinys. C est doncà l’ouvrage de M. Léon Malo
                                                          que nous empruntons la citation de ce passage d’un
                  Arrivons aux temps modernes.            livre rare et curieux.
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