Page 645 - Les merveilles de l'industrie T3 Web
P. 645
GiG MERVEILLES DE L’INDUSTRIE
mée; il a aUO stades de long et environ 60 de large. La découverte de l’existence de l’asphalte
Son eau est amère et puante, de sorte qu’on n’y en Europe remonte à l’année 1710. Elle est
trouve ni poisson ni aucun animal aquatique, et
qu’elle corrompt absolument la douceur des eaux due à un médecin du pays, mais Grec d’o
d’un grand nombre de fleuves qui vont s’y rendre. rigine, le docteur Eirini d’Eyrinys, ainsi
Il s’élève tous les ans sur sa surface une quantité que nous l’apprend une brochure publiée à
d'asphalte sec de la largeur de trois arpents, pour
Paris en 1721, sous ce titre : Dissertation
l’ordinaire, quelquefois pourtant d’un seul, mais
jamais moins. Les sauvages habitants de ce canton sur l'asphalte, ou ciment naturel, découvert
nomment taureau la grande quantité et veau la depuis quelques années au Val-Travers dans
petite. Cette matière, qui change souvent de place,
donne de loin l’idée d'une île flottante. Son appari le comté de Neufchatel, par le sieur Erini
tion s’annonce près de vingt jours d’avance par une d’Eyrinys, professeur grec et docteur en mé
odeur forte et puante de bitume qui fait perdre au decine, avec la manière de l'employer tant
loin à l’or, à l’argent et au cuivre, leur couleur sur la pierre que sur le bois, et les utilités de
propre, à près d’une demi-lieue à la ronde. Mais
rhuile que l'on en tire.
toute cette odeur se dissipe dès que le bitume, ma
tière liquide, est sorti de cette masse. Le voisinage Après avoir célébré sa découverte, dé
du lac, exposé d’ailleurs aux grandes ardeurs du crit la manière de préparer le ciment, et
soleil el chargé de vapeurs bitumineuses, est une
exposé toutes les précautions que néces
habitation très-malsaine et où l'on voit peu de vieil
lards, mais le' terrain en est excellent pour les site son emploi, Eirini d’Eyrinys énu
palmiers, dans les endroits où il est traversé par mère une série d’applications que l’on peut
des fleuves....................................................................
« Quant à l’asphalte, les habitants l’enlèvent à l’en- faire de l’asphalte. L’imperméabilité de cette
vi les uns des autres, comme feraient des ennemis substance lui fait penser tout d’abord à l’ap
réciproques, et sans se servir de bateaux. Ils ont de pliquer au revêtement des citernes et de
grandes nattes faites de roseaux entrelacés qu’ils
tous les grands réservoirs d’eau.
jettent dans le lac; et, pour cette opération, ils ne
sont jamais plus de trois sur ces nattes, deux seule L’auteur propose ensuite d’appliquer le
ment naviguant avec des rames pour atteindre la ciment d'asphalte sur les murailles des caves
masse d’asphalte, tandis que le -troisième, armé
dans lesquelles il recommande de conser
d’un arc, n’est chargé que d’écarter à coups de
traits ceux qui voudraient disputera ses camarades ver le blé, à l’instar des anciens. 11 en con
la part qu’ils peuvent avoir; quand ils sont arrivés seille l’emploi sur le bois (poutres, solives,
à l’asphalte, ils se servent de fortes haches avec palissades, etc.), sur les terrasses des mai
lesquelles ils enlèvent comme d’une terre molle la
part qui leur convient ; après quoi ils reviennent sons, sur les vaisseaux, etc. 11 décrit la ma
sur le rivage........ nière d’appliquer l’asphalte au revêtement
« Ces barbares, qui n’ont guère d’autre commerce, intérieur des silos destinés à conserver le
apportent leur asphalte en Egypte, et le vendent à
blé. 11 prévoit, en un mot, la plupart des
ceux qui font profession d’embaumer les corps; car,
sans le mélange de cette matière avec d’autres aro usages auxquels on consacre aujourd’hui
mates, il serait difficile de les préserver longtemps l’asphalte. C’est ce que l’on reconnaîtra en
delà corruption à laquelle ils tendent. »
lisant quelques passages de son mémoire, que
nous reproduisons pour permettre au lec
Les Romains ont connu l’usage de l’as teur d’en apprécier l’originalité (1).
phalte. Ils s’en servaient fréquemment
dans leurs constructions, publiques ou pri « La mine d’asphalte qui a été découverte depuis
dix années, par M. Eirini d’Eyrinys, professeur grec,
vées, surtout pour bâtir leurs thermes. On
a mis au jour des voies publiques dallées (1) M - Léon Malo, dans l’excellent ouvrage qui nous sert
de guide dans cette Notice : Fabrication et application de
en asphalte, dans les fouilles pratiquées à
l'asphalte et des bitumes (1 volume in-12, chez Eugène La
Pompéi. croix), a reproduit, comme curiosité historique, le mémoire
d’Eirini d’Eyrinys. C est doncà l’ouvrage de M. Léon Malo
que nous empruntons la citation de ce passage d’un
Arrivons aux temps modernes. livre rare et curieux.