Page 62 - Les fables de Lafontaine
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58         LES FABLES DE LA FONTAINE
         Les symétries tournent au jeu laborieux, au début de X, 12 :
              Deux Perroquets, l’un père et l’autre fils,
              Du rôt d’un Roi faisaient leur ordinaire.
              Deux demi-dieux, l’un fils et l’autre père,
              De ces oiseaux faisaient leurs favoris.
         C’est que ces symétries si exactement balancées sont dans les
        mots, mais non pas dans lés choses.
         25.  LES TONS DU STYLE DANS LES FABLES. — Non
        seulement le style des fables offre cette infinie variété de procédés
        dont on a pu prendre une idée par l’énumération et les exemples
        des deux numéros précédents, mais La Fontaine se fait un jeu
        d’y mêler les tons les plus variés, tantôt noble jusqu’à l’épopée,
        tantôt héroï-comique, familier, comique, poétique, réaliste, ora­
        toire, etc. Nul, mieux que lui, ne sait user à propos des différents
        registres du style. On peut dire, cependant, que le ton fonda­
        mental des fables est une familiarité spirituelle qui, dans la fable
        ornée (n° 19), se dissimule sous le récit, pour s’étaler plus à son
        aise et prendre le ton libre de la conversation mondaine dans
        la fable variée (n° 20).
         Le réalisme est très fréquent dans les fables. Il se traduit par
        le caractère populaire du vocabulaire, la simplicité de la syntaxe.
        Mais La Fontaine aime le relever par des touches poétiques ou
        mythologiques qui font un contraste piquant avec l’extrême
        simplicité du reste :
              Dès que Thétis chassait Phébus aux crins dorés,
              Tourets entraient en jeu, fuseaux étaient tirés,
                    De çà de là, vous en aurez... (V, 6, 6-8.)
         Ailleurs, il prend le ton du conte merveilleux, surtout au début
        des fables, et souvent pour faire admettre des invraisemblances ;
       c’est le cas des premiers Vers de I, 6 :
              La Génisse, la Chèvre et leur sœur la Brebis,
              Avec un fier Lion, seigneur du voisinage,
              Firent société, dit-on, au temps jadis. (I, 6, 1-3.)
         Il pratique même l’éloquence, mais c’est une éloquence justi­
       fiée par les circonstances et qui peint le caractère des person­
       nages. Telle est l’éloquence du Chêne, dans I, 22, 2-17 ; du Lion
       et du Renard, dans VII, 1, où les deux discours forment une
       antilogie, c’est-à-dire une opposition, le second réfutant le pre­
       mier ; du Chat dans VIII, 22, 14-25, chef-d’œuvre d’éloquence
       insinuante où tous les mots font argument, sous un ton parfait
       d’humilité et de sentimentalité.
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