Page 58 - Les fables de Lafontaine
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54         LES FABLES DE LA FONTAINE
        Périphrases énigmatiques. L’énigme est une périphrase ; mais il
      arrive que la périphrase tourne à l’énigme :
         (Le Bœuf) Parcourant sans cesser ce long cercle de peines,
         Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines,
         Ce que Cérès nous donne et vend aux animaux. (X, i, 55-57.)
        Il faut réfléchir pour découvrir que cela veut dire l’année et les
      moissons. Dans VII, 10, la bière du mort est dite : Robe d’hiver,
      robe d’été Que les morts ne dépouillent guère. Heureusement,
      La Fontaine a d’abord donné le mot de l’énigme. Dans I, 11, 7,
      les miroirs deviennent « les conseillers muets dont se servent
      nos dames », et cela est préciosité toute pure, et, d’ailleurs, inten­
      tionnelle. De même plus bas, un ruisseau devient : un canal formé
      par une source pure.
        Périphrases traditionnelles. Elles ne visent guère, en général,
      qu’à la noblesse et n’ont pas grande valeur expressive. Cependant,
      La Fontaine, emporté par son goût pour les périphrases, n’évite
      pas même celles-ci : Dieu est, pour lui : l’Auteur de l’univers (I, 5),
      le Maître de la Nature (IX, 11, 3). Jupiter est : le maître du ton­
      nerre (V, 10, 12) ou le maître des dieux (XII, 11, 8). Hercule est :
      le dieu dont les travaux sont si célèbres dans le monde (VI, 18,
      14-15). Le Soleil est : le dieu du jour (XII, 1, 30). Vénus est :
      la mère d’Amour (VII, 7, 7). L’aigle est : l’oiseau de Jupiter (II,
      16, 1). Le lion est : le roi des animaux (II, 19, 1, etc.). Le rossignol
      est : le héraut du printemps (IX, 17, 5). Tout cela est bien banal.
      Il y a plus banal encore, e’est la périphrase qui substitue au mot
      propre le nom de l’espèce accompagné d’un adjectif : l’oiseau
      royal, pour l’aigle (III, 6, 33).
       Accumulation de périphrases. Parfois, La Fontaine accumule les
      périphrases les unes sur les autres :
         Ce breuvage vanté par le peuple rimeur, (Les poètes.)
         Le nectar, que l’on sert au maître du tonnerre (Jupiter.)
         Et dont nous enivrons tous les dieux de la terre, (Les rois.)
         C’est la louange, Iris. (IX, Disc, à Mme de La Sablière.)
       Une longue périphrase allégorique pour décrire la louange est
      donc chargée elle-même de trois périphrases nobles ou pittoresques.
      On ne peut nier qu’il y ait quelque verbiage en tout cela. Ce style
      deviendra le faux style poétique du xviii6 siècle.
       Les exemples que nous venons de citer montrent la variété
      extrême et même, dans certains cas, l’abus des périphrases dans
      le style des fables. On pourrait, en se fondant seulement sur les
      fables, faire une étude très complète des ressources, des avantages,
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