Page 54 - Les fables de Lafontaine
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5°         LES FABLES DE LA FONTAINE
         Ce qui veut dire en clair : Votre orgueil s’étale sans pitié ; pour­
        tant je vous vaux bien. L’ironie peut devenir une forme du pitto­
        resque :
                 Un ânier, son sceptre à la main,
                 Menait en empereur romain,
                 Deux coursiers à longues oreilles. (Il, io, 1-3.)
         L’identification de deux objets aussi opposés qu’un ânier et un
        empereur fait ressortir le ridicule du personnage.
         Voici un exemple typique d’ironie :
                    (L’âne) lève une corne tout usée
              La lui porte au menton fort amoureusement,
              Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
              De son chant gracieux cette action hardie.
              Oh! Oh! Quelle caresse et quelle mélodieï (IV, 5, 22-26.)
         Parfois l’ironie devient une sorte de procédé de description qui
       voisine avec la périphrase :
           (Le chapon) devait, le lendemain, être d’un grand souper,
          Fort à l’aise, en un plat, honneur dont la volaille
                 Se serait passée aisément. (VIII, 21, 19-21.)
       pour dire : le chapon devait être rôti pour le dîner du lendemain.
         D’autres fois, l’ironie prend la forme d’une feinte naïveté.
       Rien n’est plus significatif de l’esprit et du caractère de La Fontaine :
                    A ces mots, l’animal pervers,
                    (C’est le serpent que je veux dire
              Et non l’homme, on pourrait aisément s’y tromper}.
         Le dernier trait a l’air de signifier tout bonnement : il y a
       équivoque dans ma phrase ; mais on voit la malice.
         Enfin, signalons cette forme de l’ironie qui consiste à dire au
       passage un mot qui a l’air tout à fait innocent et naturel et qui,
       en réalité, est un trait de malice :
           Je connais maint detteur, qui n’est ni Souris-Chauve,
          Ni Buisson, ni Canard, ni dans tel cas tombé,
          Mais simple grand seigneur, qui, tous les jours, se sauve
                    Par un escalier dérobé. (XII, 7, in fine.}
         L’adjectif simple ramène la condition du grand seigneur qui a
       des dettes au niveau le plus commun. Mais, comme on dit, il n’a
       pas l’air d’y toucher.
         On n’en finirait pas d’étudier les formes de l’ironie chez le
       plus fin et le plus malicieux de nos écrivains. Le mieux est de
       l’étudier dans la fable 3 du livre VII qui est, tout entière, un chef-
       d’œuvre d’ironie.
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