Page 59 - Les fables de Lafontaine
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INTRODUCTION                 55

         des inconvénients de la périphrase. Ce trait si frappant du style
         de La Fontaine porte la marque de l’époque, portée vers la noblesse,
         la pompe, l’allégorie.
           e)  Le pittoresque. C’est une qualité, non une figure, qui
         consiste à peindre vivement à l’imagination les objets dont on
         parle, par des traits et des mots bien choisis. C’est une des qualités
         les plus caractéristiques de La Fontaine. Nous ne citerons que
         l’exemple suivant, admirable de puissance et de vérité dans sa
         brièveté :
            Le vautour s’en allait le lier, quand des nues
            Fond à son tour un aigle aux ailes étendues. (IX, 2, 48-49.)
           L’ordre, le choix des mots, le rythme, l’harmonie, tout fait,
         de ces quelques mots, un admirable tableau.

           /) Le pléonasme consiste à répéter, inutilement en apparence,
         la même idée sous deux formes différentes. C’est un procédé d’insis­
         tance. La Fontaine en use volontiers :
                  Rebroussez plutôt en arrière. (III, 16, 20.)
                         C’est merveille
            Qu’il n’ait eu seulement que la peur pour tout mal. (V, 20, 31-32.)
         (Même pléonasme, IX, 1, 21-22).
                  On lui fit porter la voiture
                  Et la peau par-dessus encor. (VI, 16, 15-16.)
           Parfois le pléonasme s’étend sur deux phrases symétriques,
         l’une positive, l’autre négative :
            Tout fut mis en morceaux, un seul n’en réchappa. (III, 13, 23.)
           A part ce dernier, tous les pléonasmes cités plus haut appar­
         tiennent à la langue familière, laquelle abonde en répétition de ce
         genre, condamnées par les puristes sous le nom de pléonasmes
         vicieux (monter en haut, descendre en bas, reculer en arrière, etc.).
           Voici un exemple de pléonasme plus nettement littéraire, à
         valeur pathétique :
            La faim détruisit tout, il ne resta personne. (III, 6, 35.)
           Dans l’exemple suivant :
            Que le monde, dit-il, est grand et spacieux! (VIII, 9, 6.)
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