Page 497 - Les fables de Lafontaine
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DAPHNIS ET ALCIMADURE 495
Un peu de cet encens * qu’on recueille au Parnasse *,
Et que j’ai le secret de rendre exquis et doux.
Je vous dirai donc... Mais tout dire,
Ce serait trop ; il faut choisir, 10
Ménageant ma voix et ma Lyre *
Qui bientôt vont manquer de force et de loisir. '
Je louerai seulement un cœur plein de tendresse,
Ces nobles sentiments, ces grâces, cet esprit ;
Vous n’auriez en cela ni maître ni maîtresse 15
Sans celle 3 dont sur vous l’éloge rejaillit.
Gardez * d’environner ces roses
Dp trop d’épines : si jamais
L’Amour vous dit les mêmes choses,
11 les dit mieux que je ne fais. 20
Aussi sait-il punir ceux qui ferment l’oreille
A ses conseils : vous l’allez voir.
Jadis, une jeune merveille
Méprisait de ce dieu le souverain pouvoir ;
On l’appelait Alcimadure, 25
Fier * et farouche objet *, toujours courant aux bois,
Toujours sautant aux prés, dansant sur la verdure,
Et ne connaissant autres lois
Que son caprice ; au reste, égalant les plus belles
Et surpassant les plus cruelles ; 30
N’ayant trait qui ne plût, pas même 4 en ses rigueurs :
Quelle * l’eût-on trouvée 6 au fort * de ses faveurs ?
Le jeune et beau Daphnis, berger de noble race,
L’aima pour son malheur ; jamais la moindre grâce
Ni le moindre regard, le moindre mot enfin, 35
Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.
Las de continuer une poursuite vaine,
Il ne songea plus qu’à mourir ;
Le désespoir le fit courir
A la porte de l’inhumaine *. 40
Hélas ! ce fut aux vents qu’il raconta sa peine 6 ;
On ne daigna lui faire ouvrir
3. Sans celle, n’était celle (Mme de La Sablière). —• 4. Pas même,
même. Négation, 29, k. — 5. Quelle l’eût-on trouvée : quelle beauté
lui eût-on trouvée. — 6. Autrement dit, il perdit son temps.