Page 494 - Les fables de Lafontaine

492 FABLES. — LIVRE DOUZIÈME
Une humeur franche et libre, et le don d’être amie 5
Malgré Jupiter même et les temps orageux2.
Tout cela méritait un éloge pompeux ;
Il en eût été moins selon votre génie * :
La pompe vous déplaît, l’éloge vous ennuie.
J’ai donc fait celui-ci court et simple. Je veux 10
Y coudre encore un mot ou deux
En faveur de votre patrie.
Vous l’aimez. Les Anglais pensent profondément ;
Leur esprit en cela suit leur tempérament.
Creusant dans les sujets et forts 3 d’expériences, 15-
Ils étendent partout l’empire des sciences 4.
Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour *.
Vos gens *, à pénétrer *, l’emportent sur les autres ;
Même les chiens de leur séjour
Ont meilleur nez que n’ont les nôtres. 20
Vos renards sont plus fins. Je m’en vais le prouver
Par un d’eux qui, pour se sauver,
Mit en usage un stratagème
Non encor * pratiqué, des mieux imaginés.

Le scélérat, réduit en 5 6un péril extrême 25
Et presque mis à bout par ces chiens au bon nez B,
Passa près d’un patibulaire *.
Là, des animauj ravissants *,
Blaireaux, renards, hiboux, race encline à mal faire,
Pour l’exemple pendus, instruisaient les passants. 30
Leur confrère aux abois * entre ces morts s’arrange.
Je crois voir Annibal 7 qui, pressé * des Romains,
Met leurs chefs en défaut * ou leur donne le change *
Et sait, en vieux renard, s’échapper de leurs mains.

2. C’est-à-dire, malgré la guerre et les disgrâces royales. — 3. Creu­
sant et forts se rapportent à Anglais impliqué dans leur (esprit). —
4. L’Angleterre a contribué au développement des sciences expéri­
mentales au XVII0 siècle avec Bacon, Harvey, Newton, etc. ; mais sa gloire,
en ce domaine, ne l’emporte pas sur celle de la France de Descartes,
Pascal, Mariotte, Pecquet, Papin, etc. — 5. Réduit en, acculé à. —
6. Les fameux chiens anglais des vers 14-20.— 7. Comparaison, 23, j ;
La Fontaine fait allusion à la fuite d’Annibal devant Fabius Cunctator,
grâce à des bœufs lâchés la nuit avec des torches aux cornes.