Page 490 - Les fables de Lafontaine
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<88 FABLES. — LIVRE DOUZIÈME
Ébranchait, émondait, ôtait ceci, cela, io
Corrigeant partout la nature,
Excessive à payer * ses soins avec usure 3.
Le Scythe, alors, lui demanda
Pourquoi cette ruine *. Était-il d’homme sage 4
De mutiler ainsi ces pauvres habitants ? 15
« Quittez-moi votre serpe, instrument de dommage ;
Laissez agir la faux du temps * :
Ils iront assez tôt border le noir * rivage.
— J’ôte le superflu, dit l’autre, et, l’abattant,
Le reste 5 en profite d’autant. » 20
Le Scythe, retourné dans sa triste demeure,
Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure ;
Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis
Un universel abatis.
Il ôte de chez lui les branches les plus belles, 25
Il tronque * son verger contre toute raison,
Sans observer temps ni saison,
Lunes ni vieilles ni nouvelles “.
Tout languit et tout meurt.
Ce Scythe exprime bien
Un indiscret * stoïcien *.
Celui-ci retranche de l’âme 30
Désirs et passions, le bon et le mauvais,
Jusqu’aux plus innocents souhaits.
Contre de telles gens, quant à moi, je réclame.
Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort * : 35
Ils font cesser de vivre avant que l’on soit mort.
Exercice complémentaire. — Faites la description antithétique
des deux jardins : celui du sage grec et celui du Scythe, au moment
de la floraison.
3. Excessive et usure font pléonasme, 24, f. — 4. Était-ce le fait
d’un homme sage... ? — 5. Accord, 29, a. — 6. On sait que les gens
du peuple attachent beaucoup d’importance aux influences, réelles ou
supposées, de la lune.