Page 485 - Les fables de Lafontaine
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LA FORÊT ET LE BUCHERON          483



               16.  — LA FORÊT ET LE BUCHERON

         Sources. — Ésope ; Anonyme ; Haudent ; Corrozet ; Verdizotti.
         Intérêt. — Fable didactique, traitée avec une relative brièveté,
        qui n’exclut pas l’émotion. La Fontaine y fustige l’ingratitude,
        comme dans III, 9, le Loup et la Cigogne ; VI, 13, le Villageois et le
        Serpent ; V, 15, le Cerf et la Vigne. Mais, ici, il donne à sa morale
        un ton pessimiste et un tour général qui sont originaux.

        Un Bûcheron venait de rompre ou d’égarer
        Le bois dont il avait emmanché sa cognée.
        Cette perte ne put sitôt * se réparer1
        Que la Forêt n’en fût quelque temps épargnée.
               L’Homme, enfin, la prie humblement      5

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               De lui laisser1, tout doucement,
               Emporter une unique branche,
               Afin de faire un autre manche.
        Il irait employer ailleurs son gagne-pain 3 ;
        Il laisserait debout maint chêne et maint sapin   10
        Dont chacun respectait la vieillesse et les charmes.
        L’innocente Forêt lui fournit d’autres armes.
        Elle en eut du regret : il emmanche son fer ;
               Le misérable ne s’en sert
               Qu’à dépouiller sa bienfaitrice        15
               De ses principaux ornements.
               Elle gémit à tous * moments :
               Son propre don fait son supplice.
       Voilà le train * du monde et de ses sectateurs ;
        On s’y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.   20
        Je suis las d’en parler ; mais que de doux ombrages
               Soient exposés à ces outrages *,

         1. Se réparer, pronominal au sens passif : être réparé, 29, v. —
       2. Style indirect, 29, z. — 3. Employer son gagne-pain, se servir de
        sa cognée.
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