Page 482 - Les fables de Lafontaine
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48. FABLES. — LIVRE DOUZIÈME
Qui savez plaire en un degré suprême,
Vous que l’on aime à l’égal de soi-même
(Ceci soit dit sans nul soupçon d’amour,
Car c’est un mot banni de votre cour ;
Laissons-le donc!) agréez que ma Muse * 40
Achève un jour cette ébauche confuse.
J’en ai placé l’idée et le projet *,
Pour plus.de grâce, au-devant d’un sujet
Où l’amitié donne de telles marques
Et d’un tel prix, que leur simple récit 45
Peut quelque temps amuser * votre esprit.
Non que ceci se passe entre monarques :
Ce que chez vous nous voyons estimer
N’est pas un roi qui ne sait point aimer :
C’est un mortel qui sait mettre * sa vie 50
Pour son ami. J’en vois peu de si bons.
Quatre animaux, vivant de compagnie *,
Vont aux humains en donner des leçons1.
La Gazelle, le Rat, le Corbeau, la Tortue
Vivaient ensemble unis, douce société *. 55
Le choix d’une demeure 7 aux humains inconnue
Assurait leur félicité.
Mais quoi ! l’homme découvre enfin* toutes * retraites.
Soyez au milieu des déserts *,
Au fond des eaux, au haut des airs, 60
Vous n’éviterez point ses embûches secrètes.
La Gazelle s’allait ébattre innocemment,
Quand un chien, maudit instrument •»
Du plaisir barbare des hommes 8,
Vint sur l’herbe éventer * les traces de ses pas. f>5
Elle fuit, et le Rat, à l’heure du repas,
Dit aux amis restants : « D’où vient que nous ne sommes
Aujourd’hui que trois conviés ?
La Gazelle déjà nous a-t-elle oubliés ? »
A ces paroles, la Tortue 70
S’écrie et dit : « Ah! si j’étais,
7. Le choix (qu’ils avaient su faire) d’une demeure... — 8. La chasse.
Périphrase, 24, d.