Page 483 - Les fables de Lafontaine
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LE CORBEAU, LA GAZELLE, LA TORTUE ET LE RAT 481

              Comme un corbeau, d’ailes pourvue,
              Tout de ce pas *, je m’en irais
              Apprendre au moins quelle contrée,
              Quel accident * tient arrêtée *        7 5
              Notre compagne au pied léger.
      Car, à l’égard du cœur, il en faut mieux juger B. »
              Le Corbeau part à tire d’aile.
      Il aperçoit de loin l’imprudente Gazelle
              Prise au piège et se tourmentant.      80
      Il retourne avertir les autres à l’instant.
      Car, de lui demander quand, pourquoi ni comment
              Ce malheur est tombé sur elle,
      Et perdre en vains discours * cet utile moment,
              Comme eût fait un maître d’École10,    85
              Il avait trop de jugement.
              Le Corbeau donc vole et revoie11.
              Sur * son rapport, les trois amis
              Tiennent conseil. Deux sont d’avis
              De se transporter sans remise          90
              Aux lieux où la Gazelle est prise.
      « L’autre, dit le Corbeau, gardera le logis.
      Avec son marcher lent, quand arriverait-elle ?
              Après la mort de la Gazelle. »
      Ces mots à peine dits, ils s’en vont secourir   95
              Leur chère et fidèle compagne,
             Pauvre chevrette de montagne!
              La Tortue y voulut courir ;
              La voilà comme eux en campagne *,
      Maudissant ses pieds courts avec juste raison,   100
      Et la nécessité de porter sa maison.
      Rongemaille (le Ra^ eut à bon droit ce nom)
      Coupe les nœuds du lacs * ; on peut penser la joie!
      Le chasseur vient et dit : « Qui m’a ravi ma proie? »




       9. C’est-à-dire : il ne faut pas juger soç cœur léger (= volage)
      comme son pied. — 10. Allusion à I, 19, l'Enfant et le Maître d’École.
      — 11. C’est-à-dire : va et revient, sans perdre de temps.
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