Page 475 - Les fables de Lafontaine
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LE MILAN, LE ROI ET LE CHASSEUR 473
Tâcher de l’en tirer irritait son caprice. 60
Il quitte enfin le Roi, qui dit : « Laissez aller
Ce Milan, et celui qui m’a cru régaler *.
Ils se sont acquittés tous deux de leur office *,
L’un en Milan, et l’autre, en citoyen * des bois.
Pour moi, qui sais comment doivent agir les Rois, 65
Je les affranchis du supplice. »
Et la Cour d’admirer. Les courtisans, ravis,
Élèvent * de tels faits, par eux si mal suivis *.
Bien peu, même des rois, prendraient un tel modèle,
Et le veneur * l’échappa belle, 70
Coupable seulement, tant lui que l’animal,
D’ignorer le danger d’approcher trop du maître.
Ils n’avaient appris à connaître
Que les hôtes des bois. Était-ce un si grand mal ?
Pilpay fait près du Gange arriver l’aventure. 75
Là, nulle humaine créature
Ne touche aux animaux pour leur sang épancher.
Le Roi même ferait scrupule d’y toucher.
Savons-nous, disent-ils, si cet oiseau de proie
N’était point au siège de Troie 7? 80
Peut-être y tint-il lieu d’un prince ou d’un héros
Des plus huppés et des plus hauts.
Ce qu’il fut autrefois, il pourra l’être encore ;
Nous croyons, après Pythagore *,
Qu’avec les animaux de forme nous changeons : 85
Tantôt Milans, tantôt Pigeons,
Tantôt Humains, puis volatiles *,
Ayant dans les airs leurs familles 8.
Comme l’on conte en deux façons
L’accident du chasseur, voici l’autre manière : 90
Un certain * fauconnier *, ayant pris, ce * dit-on,
A la chasse un Milan * (ce qui n’arrive guère),
7. Propos singulier dans la bouche d’un Hindou. Mais on sait que La
Fontaine confond à plaisir les civilisations. — 8. Familles, prononcez
fami-les, pour la rime avec volatiles.