Page 476 - Les fables de Lafontaine
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474 FABLES. — LIVRE DOUZIÈME
En voulut au Roi faire un don
Comme de chose singulière.
Ce cas * n’arrive pas quelquefois * en pent ans. 95
C’est le Non plus ultra 9 de la fauconnerie *.
Ce chasseur perce donc un gros * de courtisans,
Plein de zèle, échauffé, s’il le fut dans sa vie.
Par ce parangon * des présents,
Il croyait sa fortune faite, 10c
,
Quand l’animal porte-sonnette 10 11
Sauvage encore et tout grossier,
Avec ses ongles tout d’acier
Prend le nez du chasseur, happe * le pauvre sire *.
Lui de crier! chacun de rire! 105
Monarque et courtisans! qui n’eût ri? quant à moi,
Je n’en eusse quitté ma part * pour un empire.
Qu’un Pape rie, en bonne foi,
Je’ne l’ose assurer ; mais je tiendrais un roi
Bien malheureux, s’il n’osait rire. no
C’est le plaisir des dieux : malgré son noir * souci,
Jupiter et le peuple immortel rit aussi11.
Il en fit des éclats, à ce que dit l’Histoire *,
Quand Vulcain *, clopinant, lui vint donner à boire.
Que le peuple immortel se montrât sage * ou non, 115
J’ai changé mon sujet avec juste raison :
Car, puisqu’il s’agit de morale,
Que nous eût, du chasseur, l’aventure fatale *
Enseigné de nouveau? L’on a vu, de tout temps,
Plus de sots fauconniers que de rois indulgents. 120
Exercice complémentaire. — Rédigez une troisième version
de ce récit, dans laquelle vous supposerez que le Milan va se percher
sur le nez d'un courtisan. Tirez-en une morale.
9. Non plus ultra, non au-delà. La limite extrême. — 10. Les
oiseaux de fauconnerie portent une petite sonnette attachée au cou. —
11. Allusion à l’Iliade, I, 597-600, où l’on voit le conseil des dieux,
réunis pour discuter de la guerre de Troie, rire comme le dit La Fontaine.