Page 474 - Les fables de Lafontaine
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47ï FABLES. — LIVRE DOUZIÈME
Pour témoins, j’en prends les merveilles 25
Par qui * le Ciel, pour vous prodigue en ses présents,
De qualités qui n’ont qu’en vous seuls leurs pareilles
Voulut orner vos jeunes ans 6.
Bourbon, de son esprit, ces grâces assaisonne.
Le Ciel joignit, en sa personne, 30
Ce qui sait se faire estimer
A ce qui sait se faire aimer.
Il ne m’appartient pas d’étaler votre joie.
Je me tais donc, et vais rimer
Ce que fit un oiseau de proie. 35
Un Milan *, de son nid antique possesseur,
Étant pris vif par un chasseur,
D’en faire au Prince un don, cet homme se propose.
La rareté du fait donnait prix * à la chose.
L’oiseau, par le chasseur humblement présenté, 40
Si ce conte n’est apocryphe *,
Va tout droit imprimer sa griffe
Sur le nez de Sa Majesté.
Quoi ! sur le nez du Roi ? du Roi même, en personne !
Il n’avait donç alors ni sceptre ni couronne ? 45
Quand il en aurait eu, ç’aurait été tout un *.
Le nez royal fut pris comme un nez du commun.
Dire, des courtisans, les clameurs et la peine,
Serait se consumer en efforts impuissants.
Le Roi n’éclata * point : les cris sont indécents 50
A la Majesté souveraine.
L’oiseau garda son poste *. On ne put seulement *
Hâter son départ d’un moment.
Son maître le rappelle, et crie, et se tourmente,
Lui présente le leurre *, et le poing * ; mais en vain. 55
On crut que, jusqu’au lendemain,
Le maudit animal à la serre insolente
Nicherait là, malgré le bruit *,
Et, sur le nez sacré, voudrait passer la nuit.
6. Les merveilles, par qui le Ciel, prodigue en ses présents pour vous,
voulut orner vos jeunes ans de qualités qui n'ont leurs pareilles qu'en vous
seuls : vers terriblement contournés, à peu près dénués de sens, les plus
mauvais, peut-être, que La Fontaine ait écrits.