Page 470 - Les fables de Lafontaine
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466 FABLES. — LIVRE DOUZIÈME
Ce qui m’étonne est qu’à huit ans,
Un Prince1 en fable ait mis la chose, io
Pendant que, sous mes cheveux blancs,
Je fabrique, à force de temps 2,
Des vers moins sensés que sa prose
Les traits * dans sa fable semés
Ne sont, en l’ouvrage du poète3, 15
Ni tous, ni si bien exprimés.
Sa louange en est plus complète.
De la chanter sur la musette *,
C’est mon talent ; mais je m’attends
Que mon héros, dans peu de temps, 20
Me fera prendre la trompette *.
Je ne suis pas un grand prophète ;
Cependant, je lis dans les cieux
Que, bientôt, ses faits glorieux
Demanderont plusieurs Homères ; 25
Et ce temps-ci n’en produit guères *.
Laissant à part tous ces mystères *,
Essayons de conter la fable avec succès.
Le Rettard dit au Loup : « Notre cher 4, pour tous mets,
J’ai souvent un vieux coq ou de maigres poulets ; 30
C’est une viande • qui me lasse.
Tu fais meilleure chère • avec moins de hasard *.
J’approche des maisons, tu te tiens à l’écart.
Apprends-moi ton métier. Camarade, de grâce,
Rends-moi le premier de ma race 35
Qui fournisse son croc * de quelque mouton gras :
Tu ne me mettras point au nombre des ingrats.
— Je le veux *, dit le Loup. Il m’est mort un mien frère ;
Allons prendre sa peau, tu t’en revêtiras. »
Il vint, et le Loup dit : « Voici comme * il faut faire, 40
1. Prince, le duc de Bourgogne. — 2. Indication sur le soin que
La Fontaine mettait à travailler ses fables. — 3. Une syllabe, par synérèse,
27. f- — 4. C’est « mon cher » au pluriel de majesté.