Page 441 - Les fables de Lafontaine
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LE PAYSAN DU DANUBE 437
S’ils avaient eu l’avidité
Comme vous, et la violence.
Peut-être en votre place ils auraient la puissance
Et sauraient en user sans inhumanité. 50
Celle que vos préteurs 9 ont sur nous exercée
N’entre qu’à peine * en la pensée.
La majesté de vos autels
Elle-même en est offensée.
Car sachez que les Immortels 55
Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples,
Ils n’ont devant les yeux que des objets * d’horreur,
De mépris d’eux et de leurs temples,
D’avarice qui va jusques * à la fureur *.
Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome : 60
La terre et le travail de l’homme
Font, pour les assouvir, des efforts superflus.
Retirez-les! on ne veut plus
Cultiver pour eux les campagnes.
Nous quittons les cités, nous fuyons aux * montagnes, 65
Nous laissons nos chères compagnes,
Nous ne conversons plus qu’avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux
Et de peupler pour Rome un pays qu’elle opprime.
Quant à nos enfants déjà nés, 70
Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés i
Vos préteurs, au malheur, nous font joindre le crime.
Retirez-les : ils ne nous apprendront
Que la mollesse et que le vice ;
Les Germains, comme eux, deviendront 75
Gens de rapine et d’avarice.
C’est tout ce que j’ai vu dans Rome à mon abord * :
N’a-t-on point de présent à faire ?
Point de pourpre10 à donner ? c’est en vain qu’on espère
Quelque refuge aux * lois. Encor * leur ministère 80
A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.
9. Les préteurs sont, ici, les gouverneurs de province.— 10. Pourpre,
étoffe précieuse ; pour : chose de grande valeur en général.