Page 438 - Les fables de Lafontaine
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434 FABLES. — LIVRE ONZIÈME
La lune, au fond d’un puits. L’orbiculaire * image2
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément 3.
Notre Renard, pressé * par une faim canine, 15
S’accommode * en celui qu’au haut de la machine *
L’autre seau tenait suspendu.
Voilà l’animal descendu,
Tiré d’erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine. 20
Car comment remonter, si quelque autre affamé,
De la même image charmé
Et succédant à sa misère 4,
Par le même chemin ne le tirait d’affaire ?
Deux jours s’étaient passés sans qu’aucun * vînt au puits. 25
Le temps, qui toujours marche, avait, pendant deux nuits,
Échancré, selon l’ordinaire *,
De l’astre au front d’argent la face circulaire.
Sire Renard était désespéré.
Compère * Loup, le gosier altéré, 30
Passe par là. L’autre dit : « Camarade,
Je veux vous régaler * : voyez-vous cet objet ?
C’est un fromage exquis ; le dieu Faune • l’a fait,
La vache Io * donna le lait.
Jupiter, s’il était malade, 35
Reprendrait l’appétit en tâtant * d’un tel mets.
J’en ai mangé cette échancrure,
Le reste vous sera suffisante pâture.
Descendez dans un seau que j’ai là mis exprès. »
Bien qu’au moins mal qu’il put il ajustât * l’histoire,
Le Loup fut un sot de le croire. 40
Il descend, et son poids, emportant l’autre part 5,
Reguindc * en haut maître Renard.
2. Périphrase, 24, d. — 3. Nouvelle périphrase, pour l’eau. —
4. Sa misère, pour : lui succédant. Abstrait pour le concret ; c’est
une métonymie, 24, b. — 5. Emportant, étant plus lourd et mettant en
mouvement l’autre part, c’est-à-dire l’autre partie de la machine, le
deuxième seau.