Page 433 - Les fables de Lafontaine
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LE SONGE D’UN HABITANT DU MOGOL        429

      Amant. Ces auteurs, et La Fontaine lui-même, s’inspirent de
      Virgile, Géorgiques, II, 475-489. La Fontaine est revenu plusieurs
      fois sur ce sujet qui lui est cher : Elégie à Fouquet ; le Songe de
      Vaux; Psyché.
       Intérêt. — Cette fable se rapproche de IX, 8 : le Fou qui vend
      la Sagesse. Comme cette dernière elle comporte l’exposé d’une
      énigme, puis son explication. Mais ce qui donne son prix à la
      présente fable, c’est la méditation sur la solitude qui l’achève, médi­
      tation qui n’est, à vrai dire, que le développement d’un lieu com­
      mun, et même assez rebattu, mais que La Fontaine exprime avec
      une émotion très personnelle en vers d’une harmonie exquise.
      On peut rapprocher cette méditation de celle qui termine la Lai­
      tière et le Pot au lait (VII, 9) et les Deux Pigeons (IX, 2).
      Jadis, certain * Mogol * vit en songe un Vizir *,
      Aux champs élisiens * possesseur d’un plaisir
      Aussi pur qu’infini, tant en prix qu’en durée.
      Le même songeur vit, en une autre contrée1,
             Un Ermite entouré de feux,              5
      Qui touchait de pitié même les malheureux.
      Le cas * parut étrange • et contre l’ordinaire ;
      Minos *, en ces deux morts, semblait s’être mépris.
      Le dormeur s’éveilla, tant il en fut surpris.
      Dans ce songe, pourtant, soupçonnant du mystère *,   10
             Il se fit expliquer l’affaire.
      L’interprète * lui dit : « Ne vous étonnez point,
     Votre songe a du sens ; et, si j’ai sur ce point
             Acquis tant soit peu d’habitude,
     C’est un avis des dieux : pendant l’humain séjour *,   15
     Ce vizir quelquefois cherchait la solitude ;
     Cet Ermite aux Vizirs allait faire sa cour *. »
     Si j’osais ajouter au mot de l’inteprète,
     J’inspirerais ici l’amour de la retraite :
     Elle offre à ses amants * des biens sans embarras, 20
     Biens purs, présents du ciel, qui naissent sous les pas.
     Solitude, où je trouve une douceur secrète,

       1. Sans doute au Tartare, séjour des damnés. On remarquera ici cet
     usage de la mythologie antique dans une fable à décor oriental.
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