Page 425 - Les fables de Lafontaine
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LE MARCHAND, LE GENTILHOMME, LE PATRE 421

       Par les trois échoués aux bords de l’Amérique.   25
       L’un, c’était lé Marchand, savait l’arithmétique :
       « A tant * par mois, dit-il, j’en donnerai leçon.
              — J’enseignerai la politique »,
       Reprit le fils de roi. Le Noble poursuivit :
       « Moi, je sais le blason * j’en veux tenir école. »   30
       Comme si, devers * l’Inde *, on eût eu dans l’esprit
       La sotte vanité de ce jargon frivole *.
       Le Pâtre dit : « Amis, vous parlez bien ; mais quoi !
       Le mois a trente jours ; jusqu’à cette échéance,
              Jeûnerons-nous, par votre foi * ?      35
              Vous me donnez une espérance
       Belle, mais éloignée ; et cependant, j’ai faim.
      Qui pourvoira, de nous, au dîner * de demain ?
              Ou, plutôt, sur quelle assurance *
       Fondez-vous, dites-moi, le souper * d’aujourd’hui ?   40
              Avant tout autre, c’est celui
              Dont il s’agit ; votre science
      Est courte là-dessus ; ma main y suppléera. »
              A ces mots, le Pâtre s’en va
      Dans un bois ; il y fit des fagots dont la vente,   45
      Pendant cette journée et pendant la suivante,
      Empêcha qu’un long jeûne à la fin ne fît tant
      Qu’ils allassent là-bas * exercer leur talent.
              Je conclus, de cette aventure,
      Qu’il ne faut pas tant d’art * pour conserver ses jours ; 50
              Et, grâce aux dons de la nature *,
      La main est le plus sûr et le plus prompt secours.
        Exercice complémentaire. — Rapprochez cette fable de VIII,19,
      l’Avantage de la Science ; montrez l'opposition des deux idées direc­
      trices et essayez de les concilier.
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