Page 424 - Les fables de Lafontaine
P. 424

420          FABLES.   LIVRE DIXIÈME

          vernement, peuple, pour souligner l’efficacité immédiate du travail
          de ce dernier. C’est la contre-partie de V, 19, le Lion s’en allant en
          guerre. Après une entrée en matière adroitement elliptique, le
          conte se déroule en une simple conversation où apparaît le carac­
          tère de chacun.
            Ce conte prélude lointainement aux Contes philosophiques de
          Voltaire.

                  Quatre chercheurs de nouveaux mondes *,
          Presque nus échappés à la fureur des ondes,
          Un trafiquant *, un noble, un pâtre, un fils de roi,
                  Réduits au sort de Bélisaire \
                  Demandaient aux passants de quoi        5
                 Pouvoir soulager leur misère.
          De raconter quel sort les avait assemblés,
          Quoique sous divers points * tous quatre ils fussent nés,
                  C’est un récit de longue haleine2.
          Ils s’assirent enfin au bord d’une fontaine.   10
          Là, le conseil * se tint entre les pauvres gens.
          Le prince s’étendit sur le malheur des grands.
          Le Pâtre fut d’avis qu’éloignant la pensée
                  De leur aventure passée,
          Chacun fît de son mieux et s’appliquât au soin   15
                 De pourvoir au commun besoin *.
          « La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle son homme ?
          Travaillons! c’est de quoi nous mener jusqu’à Rome3. »
          Un pâtre ainsi parler? ainsi parler! croit-on
          Que le Ciel n’ait donné qu’aux têtes couronnées   20
                 De l’esprit et de la raison
          Et que, de tout berger, comme de tout mouton,
                 Les connaissances soient bornées ?
          L’avis de celui-ci fut d’abord * trouvé bon

            1.  Bélisaire était un grand capitaine qui, ayant commandé les armées
          de l’empereur {Justinien) et perdu les bonnes grâces de son maître, tomba
          dans un tel point de misère qu’il demandait l’aumône sur les grands chemins
          (Note de La Fontaine). Cette disgrâce de Bélisaire n’est qu’une légende
          rejetée par l’histoire. — 2. Prétérition, 24, g. — 3. Nous mener jusqu’à
          Rome, dicton, pour : nous mener loin, c’est-à-dire nous tirer d’affaire.
          Le vers 18 résume la morale du récit sous une forme familière.
   419   420   421   422   423   424   425   426   427   428   429