Page 422 - Les fables de Lafontaine
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4iS FABLES. — LIVRE DIXIÈME
Je vois fuir aussitôt toute la nation
Des lapins qui, sur la bruyère,
L’œil éveillé, l’oreille au guet, 20
S’égayaient, et, de thym, parfumaient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande
S’en va chercher sa sûreté
.
Dans la souterraine cité 3 *
Mais le danger s’oublie, et cette peur si grande 25
S’évanouit bientôt. Je revois les lapins,
Plus gais qu’auparavant, revenir sous mes mains i.
Ne reconnaît-on pas en cela les humains?
Dispersés par quelque orage *,
A peine ils touchent le port,] 30
Qu’ils vont hasarder encor *
Même vent, même naufrage.
Vrais lapins, on les revoit
Sous les mains de la fortune *.
Joignons à cet exemple une chose commune *. 35
Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit
Qui n’est pas de leur détroit *,
Je laisse à penser quelle fête *1
Les chiens du lieu, n’ayant en tête
Qu’un intérêt * de gueule, à cris, à coups de dents, 40
Vous accompagnent 5 ces passants
Jusqu’aux confins du territoire.
Un intérêt * de biens, de grandeur et de gloire,
Aux gouverneurs d’états, à certains courtisans,
A gens de tous métiers, en fait tout autant faire. 45
On'nous voit tous, pour l’ordinaire *,
Piller * le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l’auteur sont de ce caractère :
Malheur à l’écrivain nouveau!
Le moins de gens qu’on peut à l’entour * du gâteau, 50
C’est le droit du jeu *, c’est l’affaire *.
3. Les terriers. Périphrase, 24, d. — 4. Ce développement est un
chef-d’œuvre exquis de pittoresque poétique et familier. — 5. Vous,
datif éthique, 29, f.