Page 416 - Les fables de Lafontaine
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412 FABLES. — LIVRE DIXIÈME
Son Perroquet. Le bruit en vint au père 7.
L’infortuné vieillard crie et se désespère. 25
Le tout en vain ; ses cris sont superflus :
L’oiseau parleur est déjà dans la barque 8 ;
Pour dire mieux, l’oiseau ne parlant plus 9
Fait qu’en fureur, sur le fils du monarque,
Son père s’en va fondre, et lui crève les yeux. 30
Il se sauve aussitôt, et choisit pour asile *
,
Le haut d’un pin. Là, dans le sein des dieux 10 *
Il goûte * sa vengeance en lieu sûr et tranquille.
Le roi lui-même y court et dit, pour l’attirer :
« Ami, reviens chez moi. Que * nous sert de pleurer? 35
Haine, vengeance et deuil, laissons tout à la porte.
Je suis contraint de déclarer,
Encor * que ma douleur soit forte,
Que le tort vient de nous, mon fils fut l’agresseur :
Mon fils ? non : c’est le sort * qui, du coup, est l’auteur. 40
La Parque * avait écrit de tout temps, en son livreu,
Que l’un de nos enfants devait cesser de vivre,
L’autre, de voir, par ce malheur.
Consolons-nous tous deux, et reviens dans ta cage. »
Le Perroquet dit : « Sire roi, 45
Crois-tu, qu’après un tel outrage *,
Je me doive fier à toi ?
Tu m’allègues le sort ; prétends-tu, par ta foi *,
Me leurrer * de l’appât * d’un profane * langage ?
Mais, que la Providence ou bien que le destin * 50
Règle les affaires du monde,
Il est écrit là-haut * qu’au faîte de ce pin
Ou dans quelque forêt profonde
J’achèverai mes jours loin du fatal objet12
Qui doit t’être un juste sujet 55
7. Le père perroquet, qui est l'infortuné vieillard du vers suivant. —
8. La barque de Charon, passeur des morts aux Enfers. —■ 9. Le
perroquet mort ; antithèse assez laborieuse avec l'oiseau parleur du vers
précédent. •—■ 10. A l’abri des hommes, et, par conséquent, dépendant
seulement des dieux. — 11. Sur cette notion de « livre du destin »,
voir Destin *. — 12. Le jeune prince aveugle.