Page 412 - Les fables de Lafontaine
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408          FABLES. — LIVRE .DIXIÈME
                 Un serpent engourdi de froid 4
         Vint s’offrir sous la main ; il le prit pour un fouet. 35
         Le sien s’était perdu, tombant de sa ceinture.
         Il rendait grâce au Ciel de l’heureuse aventure *,
         Quand un passant cria : « Que tenez-vous, ô dieux!
         Jetez cet animal traître et pernicieux,
         Ce serpent. — C’est un fouet. — C’est un serpent, vous
                                                [dis-je. 40
         A me tant tourmenter, quel intérêt m’oblige 5 * ?

                                               *

         Prétendez *-vous garder ce trésor ? — Pourquoi non ?
         Mon fouet était usé ; j’en retrouve un fort bon ;
                Vous n’en parlez que par envie. »
               ' L’aveugle, enfin, ne le crut pas ;     45
                Il en perdit bientôt la vie :
         L’animal, dégourdi, piqua son homme au bras.
                Quant à vous, j’ose vous prédire
         Qu’il vous arrivera quelque chose de pire.
         —  Eh ! que me saurait *-il arriver que * la mort ?   50
         —  Mille dégoûts viendront », dit le prophète Ermite.
         Il en vint en effet ; l’Ermite n’eut pas tort.
         Mainte peste * de cour fit tant, par maint ressort *,
         Que la candeur du Juge, ainsi que son mérite,
         Furent suspects au Prince *. On cabale, on suscite 55
         Accusateurs et gens grevés * par ses arrêts.
         « De nos biens, dirent-ils, il s’est fait un palais. »
         Le Prince voulut voir ces richesses immenses ;
         Il ne trouva partout que médiocrité *,
         Louanges 8 du désert • et de la pauvreté ;    60
                C’étaient là ses magnificences.
         Son fait *, dit-on, consiste en des pierres de prix.
         Un grand coffre en est plein, fermé de dix serrures.
         Lui-même ouvrit ce coffre, et rendit * bien surpris
                Tous les machineurs d’impostures :     65

          4. Froid (prononcez froué) et fouet : rimes en -otté, 27, g. —•
        5.  Comprenez : je vous dis la vérité, car je n’ai aucun intérêt personnel
        à vous tromper. -   6. Louanges, métonymie (abstrait pour le concret) :
        objets, choses tqui faisaient la louange du désert..., c’est-à-dire qui
        révélaient le goût de la solitude et de la pauvreté.
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