Page 414 - Les fables de Lafontaine
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4io FABLES. — LIVRE DIXIÈME
Chantait, un jour, le long des bords 5
D’une onde arrosant les prairies,
Dont Zéphyr* habitait les campagnes fleuries.
Annette, cependant, à la ligne, pêchait ;
Mais nul poisson ne s’approchait.
La Bergère perdait ses peines. ic
Le Berger qui, par ses chansons,
Eût attiré des inhumaines *,
Crut, et crut mal, attirer des poissons.
Il leur chanta ceci : « Citoyens * de cette onde,
Laissez votre Naïade * en sa grotte profonde. 15
Venez voir un objet * mille fois plus charmant.
Ne craignez point d’entrer aux * prisons de la Belle >
Ce n’est qu’à nous qu’elle est cruelle :
Vous serez traités doucement,
On * n’en veut point à votre vie : 20
Un vivier vous attend, plus clair que fin cristal,
Et, quand, à quelques-uns, l’appât serait fatal *,
Mourir des mains d’Annette est un sort que j’envie. »
Ce discours éloquent ne fit pas grand effet :
L’auditoire était sourd aussi bien que muet. 25
Tircis eut beau prêcher : ses paroles miellées1
S’en étant aux vents envolées,
Il tendit un long rets *. Voilà les poissons pris,
Voilà les poissons mis aux pieds de la Bergère.
O vous, Pasteurs * d’humains et non pas de brebis, 30
Rois qui croyez gagner par raisons * les esprits I
D’une multitude * étrangère 2,
Ce n’est jamais par là que l’on en vient à bout ;
Il y faut une autre manière :
Servez-vous de vos rets *, la puissance fait tout. 35
Exercice complémentaire. — Faites le tableau pittoresque de
la scène évoquée ici par La Fontaine.
1. Miellées : douces comme le miel. L’expression, inspirée du grec,
est sans autre exemple. — 2. Multitude étrangère, un peuple d’une
nation étrangère.