Page 389 - Les fables de Lafontaine
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DISCOURS 385
Le nectar *, que l’on sert au maître du tonnerre,
Et dont nous enivrons tous les dieux * de la terre, 10
C’est la louange, Iris2. Vous ne la goûtez * point.
D’autres propos, chez vous, récompensent * ce point,
Propos, agréables commerces *,
Où le hasard fournit cent matières * diverses,
Jusque *-là qu’en votre entretien * 15
La bagatelle * a part. Le monde n’en croit rien ;
Laissons le monde et sa croyance.
La bagatelle, la science,
Les chimères *, le rien, tout est bon : je soutiens
Qu’il faut de tout aux entretiens • ; 20
C’est un parterre où Flore * épand * ses biens ;
Sur différentes fleurs, l’abeille s’y repose
Et fait du miel de toute chose.
1. Descartes et le mécanisme des bêtes.
Ce fondement posé, ne trouvez pas mauvais
Qu’en ces fables aussi, j’entremêle des traits * 25
De certaine philosophie
Subtile, engageante, hardie.
On l’appelle nouvelle 3. En avez-vous ou non
Ouï parler ? Us disent donc
Que la bête est une machine, 30
Qu’en elle tout se fait sans choix et par ressorts * :
Nul sentiment, point d’âme, en elle tout est corps ;
Telle est la montre qui chemine
A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein *.
Ouvrez-la, lisez dans son sein : 35
Mainte roue y tient lieu de tout l’esprit du monde.
La première y meut la seconde,
Une troisième suit, elle sonne 4 à la fin.
Au dire de ces gens, la bête est toute telle :
L’objet * la frappe en un endroit, 40
2. Cette phrase contient quatre périphrases, pour,désigner le poète,
Jupiter, les rois, la louange, 24, d. — 3. Il s’agit de la philosophie de
Descartes, appelée nouvelle par opposition à la philosophie d’Aristote,
traditionnelle dans les écoles. — 4. Les montres du temps sonnaient
les heures.