Page 386 - Les fables de Lafontaine
P. 386
382 FABLES. — LIVRE NEUVIÈME
18. — LE BERGER ET SON TROUPEAU
Source. — Abstémius.
Intérêt. —■ Fable, satirique, dirigée contre les couards. La
composition est admirable de mouvement et de naturel. Le décor
est évoqué avec un pittoresque plein, tour à tour, d’émotion et
de vérité. Chef-d’œuvre de la fable ornée.,
« Quoi! toujours il me manquera
Quelqu’un de ce peuple * imbécile *!
Toujours le loup m’en gobera *!
J’aurai beau les compter : ils étaient plus dç mille,
Et m’ont laissé ravir notre pauvre Robin1 ! 5
Robin mouton qui, par la ville,
Me suivait pour un peu de pain
Et qui m’aurait suivi jusques * au bout du monde.
Hélas! de ma musette * il entendait * le son!
Il me sentait venir de cent pas à la ronde. 10
Ah! le pauvre Robin mouton! »
Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre
Et rendu * de Robin la mémoire célèbre,
Il harangua tout le troupeau,
Les chefs, la multitude *, et jusqu’au moindre agneau, 15
Les conjurant de tenir ferme :
Cela seul suffirait pour écarter les loups2.
Foi * de peuple d’honneur, ils lui promirent tous
De ne bouger non plus qu’un terme *.
« Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton * 20
Qui nous a pris Robin mouton. » '...j
Chacun en répond * sur sa tête.
Guillot les crut et leur fit fête *.
Cependant, devant * qu’il fut nuit,
Il arriva nouvel encombre * : 25
Un loup parut. Tout' le troupeau s’enfuit3 :
Ce n’était pas un loup, ce n’en était que l’ombre *.
1. Rabelais (IV, 6) appelle un mouton Robin. Les vers 1-5 forment
une entrée en matière exclamativc, 26, b. — 2. Discours indirect,
29, z. —v 3. Conclusion brève, 26, g.