Page 384 - Les fables de Lafontaine
P. 384

38o         FABLES. — LIVRE NEUVIÈME

         Bertrand avec * Raton, l’un Singe et l’autre Chat,
         Commensaux * d’un logis, avaient un commun maître.
         D’animaux malfaisants, c’était un très bon plat * ;   *
         Ils n’y * craignaient tous deux aucun *, quel qu’il pût être.
         Trouvait-on quelque chose, au logis, de gâté * ?   5
         L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage :
        Bertrand dérobait1 tout ; Raton, de son côté,
        Était moins attentif aux souris qu’au fromage2.
        Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres * fripons
                Regardaient rôtir des marrons.         10
        Les escroquer était une très bonne affaire :
        Nos galants * y voyaient double profit à faire,
        Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
        Bertrand dit à Raton : « Frère, il faut, aujourd’hui,
                Que tu fasses un coup de maître.       15
        Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
                Propre à tirer marrons du feu3,
                Certes, marrons verraient beau jeu *. »
        Aussitôt fait que dit : Raton, avec sa patte,
                D’une manière délicate,                20
        Écarte un peu la cendre, et retire les doigts,
                Puis les reporte à plusieurs fois,
        Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque ;
                Et cependant Bertrand les croque.
        Une servante vient. Adieu mes gens! Raton      25
                N’était pas content, ce * dit-on.
        Aussi * ne le * sont pas la plupart de ces princes *
                Qui, flattés d’un pareil emploi 4,
                Vont s’échauder * en des provinces *
                Pour le profit de quelque roi.         30
          Exercice complémentaire. — Faites le tableau pittoresque de
        la veillée, au coin du feu, des deux « maîtres fripons ». s


          1.  Style indirect, 29, z„ — 2. Entrée en matière descriptive, 26, b.
        — 3. Tirer les marrons du feu, est un ancien dicton signifiant: travailler
        au profit d’un autre. — 4. Qui, flattés d’être employés de la même
        façon (que Raton).
   379   380   381   382   383   384   385   386   387   388   389