Page 379 - Les fables de Lafontaine
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JUPITER ET LE PASSAGER           375


                13.  — JUPITER ET LE PASSAGER

         Sources. —• Ésope ; Rabelais (IV, 18-24) > Haudent.
         Intérêt. -— Cette fable reprend, sur un ton plus dramatique,
       l’idée illustrée par IV, 19, l’Oracle et l’impie, à savoir que les
       hommes ne gagnent rien à vouloir tromper le Ciel. Après un pro­
       logue, qui est un sermon en miniature, le récit se développe avec
       une sobriété qui ne nuit en rien à la vérité des personnages : modèle
       de composition dramatique.
       O combien le péril enrichirait les dieux,
       Si nous nous souvenions des vœux * qu’il nous fait faire!
       Mais, le péril passé, l’on ne se souvient guère
               De ce qu’on a promis aux cieux1 ;
       On compte * seulement ce qu’on doit à la terre 2.   5
       Jupiter, dit l’impie, est un bon créancier :
              Il ne se sert jamais d’huissier 3.
              — Eh ! qu’est-ce donc que le tonnerre ?
       Comment appelez-vous ces avertissements ?
              Un Passager, pendant l’orage *,         10
       Avait voué 4 cent bœufs au vainqueur des Titans *.
       Il n’en avait pas un : vouer cent éléphants
              N’aurait pas coûté davantage.
       Il brûla quelques os, quand il fut au * rivage ;
       Au nez de Jupiter, la fumée en monta.          15
       « Sire Jupin *, dit-il, prends mon vœu : le voilà ;
       C’est un parfum de bœuf que ta grandeur * respire ;
       La fumée est ta part 5, je ne te dois plus rien. »
              Jupiter fit semblant de rire.
       Mais, après quelques jours, le dieu l’attrapa bien,   20
              Envoyant un Songe * lui dire

         1. On connaît le proverbe italien, démarqué ici : Passé le péril, adieu
       le saint. ■— 2. Ce qu’on doit à la terre, autrement dit, ses intérêts
       personnels. — 3. Les huissiers, comme on sait, saisissent les biens
       des débiteurs récalçitiants. ■— 4. Vouer, promettre en vœu. — 5. Les
       Anciens disaient en ,effet que les dieux faisaient leurs délices de la
       fumée des sacrifices.
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