Page 374 - Les fables de Lafontaine
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37° FABLES. — LIVRE NEUVIÈME
Et, par ce bel arrêt terminant la bataille :
« Tenez, voilà, dit-elle, à chacun une écaille ;
Des sottises d’autrui nous vivons au Palais,
Messieurs ; l’huître était bonne. Adieu. Vivez en paix. »
Voir, pour une concurrence semblable, mais dans laquelle l’initiative
partit de La Fontaine, I, 15 et 16.
Un jour, deux pèlerins * sur le sable rencontrent *
Une huître1, que le flot y venait d’apporter.
Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
A l’égard de la dent, il fallut contester *.
L’un se baissait déjà pour amasser * la proie ; 5
L’autre le pousse et dit : « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie *.
Celui qui le premier a pu l’apercevoir
En sera le gobeur ; l’autre le verra faire.
> — Si par là l’on juge l’affaire, 10
Reprit son compagnon, j’ai l’œil bon, Dieu merci.
— Je ne l’ai pas mauvais aussi *,
Dit l’apjre, et je l’ai vue avant vous, sur ma vie *.
— E&©ien! vous l’avez vue et moi je l’ai sentie. •»
Pendant tout ce bel incident, 15
Perrin Dandin2 arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l’huître et la gruge *,
Nos deux messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit, d’un ton de président * :
« Tenez : la Cour * vous donne à chacun une écaille, 20
Sans dépens 3 ; et qu’en paix chacun chez soi s’en aille. »
Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui ;
Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles :
Vous verrez que Perrin tire l’argent à lui
Et ne laisse aux plaideurs que le sac * et les quilles. 25
Exercice complémentaire. — D’après cette fable et d’après
VIII, 15, le Chat, la Belette et le petit Lapin, faites le portrait de
Perrin Dandin.
1. Enjambement, 27, b. — 2. Perrin Dandin, personnage de Rabelais,
repris par Racine et devenu, ainsi, le type même du juge. — 3. Sans
dépens, sans frais à payer à la justice.