Page 372 - Les fables de Lafontaine
P. 372
368 FABLES. — LIVRE NEUVIÈME
8. — LE FOU QUI VEND LA SAGESSE
Source. — Abstémius.
Intérêt. — Cette fable propose une énigme que La Fontaine
explique laborieusement et par deux/ois : d’abord dans son pro
logue, puis dans l’interprétation donnée en conclusion par le
« sage ». Il y a, d’ailleurs, une contradiction intime dans le récit,
puisque le fou sé trouve, finalement, avoir donné un conseil
fort sage. Le style n’a pas le pittoresque ni la vie qui seraient bien
nécessaires pour racheter la gaucherie du récit.
Jamais, auprès des fous, ne te mets à portée1.
Je ne te2 puis donner un plus sage conseil.
11 n’est enseignement pareil
A celui-là : de fuir une tête * éventée.
On en voit souvent dans les cours 3. 5
Le prince * y prend plaisir, car ils donnent toujours
Quelque trait * aux fripons, aux sots, aux ridicules *.
Un fol * allait criant, par tous les carrefours,
Qu’il vendait la Sagesse. Et les mortels crédules
De courir à l’achat. Chacun fut diligent. 10
On essuyait * force * grimaces ;
Puis on avait, pour son argent,
Avec un bon soufflet, un fil long de deux brasses *.
La plupart s’en fâchaient, mais que * leur servait-il * ?
C’étaient les plus moqués*. Le mieux était de rire 15
Ou de s’en aller sans rien dire
Avec son soufflet et son fil.
De * chercher du sens à la chose,
On se fût fait siffler ainsi * qu’un ignorant.
La raison est-elle garant * 20
De ce que fait un fou ? le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet, pourtant, embarrassé,
1. A portée, au sens propre : à la distance où leurs coups peuvent
porter. — 2. Complément de l’infinitif, 29, d. — 3. Allusion possible
à L’Angély, qui fut le fou de Louis XIII et termina sa carrière sous
Louis XIV.