Page 368 - Les fables de Lafontaine
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364 FABLES. — LIVRE NEUVIÈME
Il sera dieu. Même, je veux 5
Qu’il ait en sa main un tonnerre 1.
*
4
*
Tremblez, humains! Faites des vœux * :
Voilà le maître de la terre 2. »
L’artisan * exprima si bien
Le caractère de l’idole * 10
Qu’on trouva qu’il ne manquait rien
A Jupiter, que la parole.
Même, l’on dit que l’ouvrier
Eut à peine achevé l’image *,
Qu’on le vit frémir le premier 15
Et redouter son propre ouvrage 3.
A la faiblesse du sculpteur,
Le poète 4 autrefois n’en dut * guère,
Des dieux dont il fut l’inventeur
Craignant la haine et la colère 5. 20
Il était enfant en ceci.
Les enfants n’ont l’âme occupée
Que du continuel souci
Qu’on ne fâche point leur poupée.
Le cœur suit aisément l’esprit 6. 25
De cette source est descendue
L’erreur païenne * qui se vit
Chez tant de peuples répandue.
Ils embrassaient * violemment
Les intérêts * de leur chimère *. 30
Pygmalion * devint amant *
De la Vénus * dont il fut père.
1. Un tonnerre ou foudre. — 2. Le maître de la terre est Jupiter.
TT 3. On conte la même chose de Michel-Ange devant la statue de Moïse
qu’il venait d’achever. — 4. Poète, une syllabe, par synérèse, 27, f.
— 5. Cette théorie qui attribue aux poètes l’invention de la mytho
logie n’a, bien entendu, aucune vérité ; en fait, les poètes ont tiré parti
des ressources de la mythologie qu’ils n’avaient nullement inventée. —
6. La Rochefoucauld dit le contraire : « L’esprit est toujours la dupe
du cœur ».