Page 392 - Les fables de Lafontaine
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388 FABLES. — LIVRE NEUVIÈME
Vivent, ainsi qu’aux premiers temps,
Dans une ignorance profonde : 95
Je parle des humains 9, car, quant aux animaux,
Us10 y construisent des travaux *
Qui, des torrents grossis, arrêtent le ravage,
Et font communiquer l’un et l’autre rivage.
L’édifice résiste et dure en son entier. too
Après un lit de bois est un lit de mortier.
Chaque castor agit ; commune en est la tâche ;
Le vieux y fait marcher le jeune sans relâche *.
Maint maître * d’œuvre y court et tient haut le bâton.
La république * de Platon 105
Ne serait rien que l’apprentie
De cette famille amphibie.
Ils savent en hiver élever leurs maisons,
Passent les étangs sur des ponts,
Fruit* de leur art, savant ouvrage. 110
Et nos pareils ont beau le * voir,
Jusqu’à présent, tout leur savoir
Est de passer l’onde à la nage.
d) Les « Boubaks ».
Que ces castors ne soient qu’un corps vide d’esprit,
Jamais on ne pourra m’obliger à le croire. 115
Mais voici beaucoup plus : écoutez le récit
Que je tiens d’un roi plein de gloire11 ;
Le défenseur du Nord vous sera mon garant * ;
Je vais citer un Prince aimé de la victoire ;
Son nom seul est un mur à l’empire ottoman. 120
C’est le roi polonais, jamais un roi ne ment.
Il dit donc que, sur sa frontière,
Des animaux entre eux ont guerre de tout temps *.
Le sang qui se transmet des pères aux enfants
En renouvelle la matière *. 125
Ces animaux, dit-il, sont germains * du renard.
Jamais la guerre, avec tant d’art,
9. Les Lapons.'— 10. Les castors. —- 11. Jean Sobieski (1624-1696),
plusieurs fois vainqueur des Turcs.