Page 397 - Les fables de Lafontaine
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LIVRE DIXIÈME
1. — L’HOMME ET LA COULEUVRE
Source. — Pilpay.
Intérêt. — Fable morale, de ton oratoire. La misanthropie,
dont elle témoigne, n’a rien d’exceptionnel dans l’œuvre de La
Fontaine : on la retrouve, sous des formes diverses, dans III, 15,
Philomèle et Procné ; IX, 11, Rien de trop ; II, 6, l’Oiseau blessé
d’une flèche, etc. Pour la donnée dramatique, la fable 13 du livre VI,
le Villageois et le Serpent, est l’exacte antithèse de celle-ci. La
Fontaine multiplie ici les traits pittoresques et poétiques, qui se
mêlent aux développements oratoires, pour faire de cette fable
un chef-d’œuvre du genre de la fable variée. L’idée morale qui
la termine est exactement celle qui fait l’idée directrice de I, 10,
le Loup et l’Agneau : « La raison du plus fort est toujours la meil
leure. » Il y aurait grand intérêt à comparer les deux fables, celle
du livre I étant un chef-d’œuvre de la fable ornée, et celle-ci, un
chef-d’œuvre de la fable variée. On pourra ainsi tirer des conclu
sions autorisées sur les deux grandes manières de La Fontaine.
Un homme vit une Couleuvre *.
« Ah! méchante, dit-il1, je m’en vais faire une œuvre
Agréable à tout l’univers. »
A ces mots, l’animal pervers
(C’est le serpent que je veux dire, 5
Et non l’homme, on pourrait aisément s’y tromper) 2,
A ces mots, le serpent, sè laissant attraper,
Est pris, mis en un sac, et ce qui fut le pire,
On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer *, toutefois, de raison, 10
L’autre lui fit une harangue :
« Symbole des ingrats ! être bon aux méchants
1. Entrée en matière directe, 26, b. — 2. Ironie, 23, z.