Page 402 - Les fables de Lafontaine
P. 402

39»          FABLES. — LIVRE DIXIÈME


           3.  — LES POISSONS ET LE CORMORAN *


         Source. — Pilpay.
         Intérêt. — Fable ornée. Le portrait du Cormoran, l’agitation
       des poissons, le résultat du stratagème, sont peints avec un pitto­
       resque et une vivacité admirables de justesse. Ce Cormoran, si
       plein de ressource, fait un contraste parfait avec son confrère,
       le Héron (VII, 4) si vaniteux.

       Il n’était point d’étang, dans tout le voisinage,
       Qu’un Cormoran * n’eût mis à contribution.
       Viviers et réservoirs lui payaient pension * ;
       Sa cuisine allait bien. Mais, lorsque le long âge *
              Eut glacé le pauvre animal,             5
              La même cuisine allait mal.
      'Fout cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.
      Le nôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux,
              N’ayant ni filets ni réseaux *,
              Souffrait une disette extrême.         io
      Que fit-il ? Le besoin, docteur en stratagème,
      Lui fournit celui-ci1 : sur le bord d’un étang,
              Cormoran vit une écrevisse.
      « Ma commère *, dit-il, allez tout * à l’instant
              Porter un avis important               i5
              A ce peuple1 : il faut * qu’il périsse,

                        2
      Le maître de ce lieu, dans huit jours, pêchera. »
              L’Écrevisse, en hâte, s’en va
              Conter le cas *. Grande est l’émute *!
              On court, on s’assemble, on députe *   20
             A l’oiseau : « Seigneur * Cormoran,
      D’où vous vient cet avis ? quel est votre garant * ?
             Êtes-vous sûr de cette affaire ?
      N’y savez-vous remède ? et qu’est-il bon de faire 3 ?
        1.  Les vers i à 12 forment une entrée en matière narrative, 26, b. —
      2. Ce peuple, le peuple de cet étang, les poissons. — 3. Accumu­
      lation, 23, a.
   397   398   399   400   401   402   403   404   405   406   407