Page 404 - Les fables de Lafontaine
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400 FABLES. — LIVRE DIXIÈME
4. — L’ENFOUISSEUR ET SON COMPÈRE *
Source. — Abstémius.
Intérêt. — Pour le ton, le sujet, les personnages, cette fable
rappelle de fort près, IV, 20, l’Avare qui a perdu son Trésor. Mais
la conclusion se détourne de l’idée directrice et va rejoindre les
fables qui engagent à répondre à la tromperie par la tromperie :
1, 18, le Renard et la Cigogne ; II, 15, le Coq et le Renard. C’est
donc ici une fable variée, de composition libre.
Un pince-maille1 avait tant amassé
Qu’il ne savait où loger sa finance *.
L’avarice, compagne et sœur de l’ignorance,
Le rendait * fort embarrassé
Dans le choix d’un dépositaire. 5
Car il en voulait un. Et voici sa raison :
L’objet * tente ; il faudra * que ce monceau s’altère *
Si je le laisse à la maison :
Moi-même, de mon bien, je serai le larron.
— Le larron? quoi! jouir, c’est se voler soi-même? 10
Mon ami1, j’ai pitié de ton erreur extrême ;
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Apprends de moi cette leçon :
Le bien * n’est bien qu’en tant que l’on s’en peut3 défaire.
Sans cela, c’est un mal. Veux-tu le réserver
Pour un âge et des temps qui n’en ont plus que faire? 15
La peine d’acquérir, le soin * de conserver
Otent le prix * à l’or, qu’on croit si nécessaire.
Pour se décharger d’un tel soin *,
Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin,
Il aima mieux la terre, et, prenant son compère *, 20
Celui-ci 4 l’aide. Ils vont enfouir le trésor.
Au bout de quelque temps, l’homme va voir son or :
Il ne retrouva que le gîte.
1. Un pince-maille, un grippe-sou, la maille étant une ancienne mon
naie qui était sortie d’usage parce qu’elle avait trop peu de valeur. —
2. Apostrophe, 23, h. — 3. Complément de l’infinitif, 29, d. —
4. Accord, 29, a.