Page 352 - Les fables de Lafontaine
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34« FABLES. — LIVRE HUITIÈME
Et, de plus, il nous faut nager contre le vent 3.
Buvons toute cette eau! notre gorge altérée
En viendra bien à bout ; ce corps demeurera 25
Bientôt à sec, et ce sera
Provision pour la semaine. »
Voilà mes chiens à boire ; ils perdirent l’haleine,
Et puis la vie ; ils firent tant
Qu’on les vit crever * à l’instant. 30
L’homme est ainsi bâti : quand un sujet l’enflamme,
L’impossibilité disparaît à son âme.
Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas,
S’outrant * pour acquérir des biens ou de la gloire!
Si j’arrondissais mes états ! 35
Si je pouvais remplir mon coffre de ducats * !
Si j’apprenais l’hébreu, les sciences, l’histoire!
Tout cela, c’est la mer à boire ;
Mais rien à l’homme ne suffit :
Pour fournir * aux projets que forme un seul esprit, 40
Il faudrait quatre corps ; encor *, loin d’y suffire,
A mi-chemin, je crois que tous demeureraient :
Quatre Mathusalems 4, bout à bout, ne pourraient
Mettre fin à ce qu’un seul désire.
Exercice complémentaire. — En vous inspirant de cette fable,
brodez des variations satiriques sur ce thème : « Ce n’est pas la mer
à boire. »
26. — DÉMOCRITE ET LES ABDÉRITAINS
Source. — Marcelin Bompart : Lettres d’Hippocrate.
Intérêt. — Anecdote apocryphe *, née de l’imagination de
Diogène Laerce. La Fontaine en tire une satire assez languissante
contre l’ignorance populaire.
3. Nager contre le vent : lutter de vitesse avec le vent qui « de plus
en plus éloignait de nos chiens » (v. 15) l’âne mort. — 4. Patriarche
qui, comme on sait, battit tous les records de longévité en vivant 969 ans.