Page 337 - Les fables de Lafontaine
P. 337
L’HOROSCOPE 331
Le jeune homme, inquiet, ardent, plein de courage * 2,
A peine se sentit des bouillons * d’un tel âge,
Qu’il soupira pour ce plaisir. 25
Plus l’obstacle était grand, plus fort fut le désir.
Il savait le sujet des fatales * défenses ;
Et, comme ce logis, plein de magnificences,
Abondait partout en tableaux,
Et que la laine 3 et les pinceaux 30
Traçaient de tous côtés chasses et paysages :
En cet endroit, des animaux,
En cet autre, des personnages,
Le jeune homme s’émeut, voyant peint un lion :
« Ahl monstre *! cria-t-il, c’est toi qui me fais vivre 35
Dans l’ombre * et dans les fers! » A ces mots, il se livre
Aux transports violents de l’indignation,
Porte le poing sur l’innocente bête.
Sous la tapisserie, un clou se rencontra ;
Ce clou le blesse, il pénétra 40
Jusqu’aux ressorts * de l’âme ; et cette chère tête *,
Pour qui * l’art d’Esculape * en vain fit ce qu’il put,
Dut sa perte à ces soins qu’on prit pour son salut.
Même précaution nuisit au poète 4 Eschyle :
Quelque devin le menaça, dit-on, 45
De la chute d’une maison.
Aussitôt, il quitta la ville,
Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les cieux.
Un aigle, qui portait en l’air une tortue,
Passa par là, vit l’homme, et, sur sa tête nue 50
Qui parut un morceau de rocher à ses yeux,
Étant de cheveux dépourvue,
Laissa tomber sa proie afin de la casser.
Le pauvre Eschyle ainsi sut * ses jours avancer *.
De ces exemples, il résulte 55
Que cet art, s’il est vrai, fait tomber dans les maux
2. Gradation, 23, r. — 3. Laine, tapisserie en laine. Pinceaux :
tableaux. Métonymies, 24, b. — 4. Poète, une syllabe, par synérèse, 27, f.