Page 333 - Les fables de Lafontaine
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LES OBSÈQUES DE LA LIONNE          327

      Rugir en leur patois Messieurs les courtisans.
      Je définis1 la cour : un pays où les gens,
      Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
      Sont ce qu’il plaît au prince *, ou, s’ils ne peuvent l’être,
             Tâchent au moins de le paraître ;      20
      Peuple caméléon, peuple singe du maître.
      On dirait qu’un * esprit anime mille corps.
      C’est bien là que les gens sont de simples ressorts *.
             Pour revenir à notre affaire,
      Le Cerf ne pleura point. Comment eût-il pu faire? 25
      Cette mort le vengeait : la Reine avait, jadis,
             Étranglé sa femme et son fils.
      Bref, il ne pleura point. Un flatteur l’alla dire
             Et soutint qu’il l’avait vu rire.
      La colère du roi, comme dit Salomon 2         30
      Est terrible, et surtout celle du roi-lion ;
      Mais ce Cerf n’avait pas accoutumé * de lire.
     Le monarque lui dit : « Chétif * hôte des bois,
     Tu ris, tu ne suis * pas ces gémissantes voix!
     Nous * n’appliquerons point sur tes membres profanes *35
             Nos sacrés ongles : venez, Loups,
             Vengez la Reine, immolez tous
             Ce traître à ses augustes mânes *. »
     Le Cerf reprit alors : « Sire, le temps de * pleurs
     Est passé 3 ; la douleur est ici superflue :   40
     Votre digne moitié *, couchée entre * des fleurs,
             Tout près d’ici m’est apparue
             Et je l’ai d’abord * reconnue.
     Ami, m’a-t-elle dit, garde * que ce convoi,
     Quand je vais chez les dieux, ne t’oblige à des larmes! 45
     Aux Champs-Élisiens * j’ai goûté mille charmes,
     Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
     Laisse agir quelque temps le désespoir du roi,
     J’y prends plaisir. » A peine eut-on ouï la chose
     Qu’on se mit à crier : Miracle! Apothéose!     50
     Le Cerf eut un présent, bien loin d’être puni.
       1. Vers 16 à 23, digression, 23,1. -— 2. Dans les Proverbes de Salomon,
     XX, 2, on lit : « La terreur qu’inspire le roi est toute semblable au rugis­
     sement du lion. » La Fontaine sollicite un peu le texte. ■—■ 3. Rejet, 27, c.
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