Page 331 - Les fables de Lafontaine
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TIRCIS ET AMARANTE 325
Mes Contes, à son. avis,
Sont obscurs. Les beaux esprits *
N’entendent * pas toute chose. 25
Faisons donc quelques récits
Qu’elle déchiffre sans glose *.
Amenons des Bergers, et puis, nous rimerons
Ce que disent entre eux les Loups et les Moutons.
Tircis disait, un jour, à la belle Amarante : 30
— « Ah! si vous connaissiez, comme moi, certain mal
Qui nous plaît et qui nous enchante,
Il n’est bien sous le Ciel qui vous parût égal!
• Souffrez qu’on vous le communique.
Croyez-moi, n’ayez point de peur. 35
Voudrais-je vous tromper, vous pour qui je me pique *
Des plus doux sentiments que puisse avoir un cœur ? »
Amarante aussitôt réplique :
« Comment l’appelez-vous, ce mal ? quel est son nom ?
— L’Amour. — Ce mot est beau. Dites-moi quelques
[marques 40
A quoi je le pourrai connaître * : que sent-on ?
— Des peines près de qui* le plaisir des monarques
Est ennuyeux et fade. On s’oublie, on se plaît
Toute seule en une forêt.
Se mire-t-on près* un rivage, 45
Ce n’est pas soi qu’on voit, on ne voit qu’une image
Qui sans cesse revient et qui suit en tous lieux.
Pour tout le reste, on est sans yeux.
Il est un Berger du village
Dont l’abord *, dont la voix, dont le nom 4 fait rougir ; 50
On soupire à son souvenir ;
On ne sait pas pourquoi ; cependant, on soupire ;
On a peur dé le voir, encor * qu’on le désire. »
Amarante dit à l’instant :
« Oh! oh! 5 c’est là *, ce mal que vous me prêchez tant? 55
Il ne m’est pas nouveau : je pense le connaître. »
Tircis à son but croyait être,
4. Gradation descendante, 23, r. — 5. Hiatus, 27, d.