Page 325 - Les fables de Lafontaine
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L’OURS ET L’AMATEUR DE JARDINS 319
10. — L’OURS ET L’AMATEUR DE JARDINS
Source. — Pilpay.
Intérêt. — Conte poétique, orné de nombreux détails pitto
resques, paré de la poésie de l’amitié, et conté avec cette ironie
pince-sans-rire que nous appelons humour, d’après les Anglais,
qui excellent à ce genre d’esprit.
Certain * Ours montagnard, Ours à demi léché *,
Confiné par le Sort * dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon *, vivait seul et caché.
Il fût devenu fou1. La raison, d’ordinaire,
N’habite pas longtemps chez les gens séquestrés. 5
Il est bon de parler et meilleur de se taire,
Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés.
Nul animal n’avait affaire
Dans les lieux que l’Ours habitait,
Si bien que, tout Ours qu’il était, 10
Il vint * à s’ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu’il se livrait à la mélancolie,
Non loin de là, certain * Vieillard
S’ennuyait aussi de sa part * :
Il aimait les jardins, était prêtre de Flore *, 15
II l’était de Pomone * encore *.
Ces deux emplois * sont beaux, mais je voudrais, parmi *,
Quelque doux et discret * ami.
Les jardins parlent pe.u, si ce n’est dans mon livre ;
De façon que, lassé de vivre 20
Avec des gens muets, notre homme, un beau matin,
Va chercher compagnie et se met en campagne *.
L’Ours, porté * d’un même dessein *,
Venait de quitter sa montagne.
Tous deux, par un cas * surprenant, 25
Se rencontrent en un tournant.
L’homme eut peur. Mais comment esquiver * ? et que faire ?
Se tirer en Gascon * d’une semblable affaire
1. Il fût devenu fou (si cette solitude s’était prolongée). Ellipse, 23, in.
LES FABLES DE LA FONTAINE. I 1